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Michel Meurdesoif, 666, Quai de la Scarpe

Publié le par MG

Première de couverture : Michel Meurdesoif, "666, Quai de la Scarpe", Engelaere Editions, 2013.

Première de couverture : Michel Meurdesoif, "666, Quai de la Scarpe", Engelaere Editions, 2013.

Qu'ont donc les intellectuels d'Aniche et ses alentours à vouloir rendre immortel l'un des plus énigmatiques peintres flamands du XVIe siècle, l'Anonyme d'Anvers ? Sont-ils adeptes de la formule de Robert Filliou, "l'art, c'est ce qui rend la vie plus agréable que l'art" ? Quatre ans avant Roger Facon et Serge Ottaviani1, Michel Meurdesoif place au cœur de son intrigue policière contemporaine, 666, Quai de la Scarpe (2013), un marginal du quartier Saint-Amé prénommé Raoul qui traverse le temps et l'espace, pour révéler subrepticement des vérités cachées. Nommez-le comme bon vous semble, il est légion !

 

Dans un décor éthéré, brumeux, humide qui conduit le lecteur à confondre les berges de la Scarpe avec celles du Thiou, la double narration omnisciente peine à faire émerger la véritable identité du « je » qui se livre au jeu de l'alternance, de l'esprit schizoïde de Marc Gautier, écrivain hanté par les préoccupations de Dumas et de Balzac. Même le dénouement laisse le lecteur à l'état vaporeux. Seul le temps est assassin emportant avec lui les mobiles intelligibles du ou des crimes commis. Car rien n'est plus sûr, dans cette nouvelle, que les doutes.

 

Meurtre(s), jalousie, introspection, enquête enlisée... tous les ingrédients sont là, entre Douai et Annecy, entre Marc Gautier perdu dans ses rêveries et la galeriste Catherine, sa femme déterminée à se venger. Il n'empêche que l'auteur faussement enquêteur, maire communiste d'Aniche de 1989 à 2014, dresse de magnifiques tableaux de la condition humaine et du regard que la société jette sur l'autre, sur l'exclu, le SDF, le mendiant, le clochard, l'original en somme. C'est cru mais ça sonne juste2 !

 

Linguiste passionné, Michel Meurdesoif incise la page, tel un médecin légiste en quête de vérité sur le corps cadavérique d'une victime, pour réveiller les subtilités du langage : jeux de mots truculents3, recours au latin et au picard, usage des contractions du parlé et des lourdeurs de la rédaction administrative, amusement sur le chiffre apocalyptique de la Bête4, etc. Cette maîtrise langagière et cette intelligence narrative qui plongent en définitive le lecteur dans les vapeurs de la Scarpe singularisent cette nouvelle de toutes les histoires courtes écrites par ses pairs. Meurdesoif signe là un chef-d'oeuvre et pourrait récidiver, après cette énigme autour de l'Anonyme d'Anvers, sur l'hypothétique venue de Rubens à Aniche.

 

 

1. Roger Facon & Serge Ottaviani, Le Maître du Saint-Sang, Abysses Editions, 2017.

 

2. "A votre avis, pourquoi les passants fuient-ils les mendiants et les clochards ? Parce que ces gens ordinaires voient en eux ce qu'ils craignent de devenir. Ils se projettent dans l'image du mendiant et naturellement ils s'en détournent." (p. 63)

 

3. A titre d'exemple, nous retiendrons ce paragraphe : « Je me souviens d'y avoir suivi un numéro débile qui n'avait d'autre objet que d'intriguer le plus grand nombre possible de badauds. La quête était faite par des acolytes déguisés en rats ! Le calembour était évident sauf pour les gogos non francophones qui se sont empressés de garnir la sébile des rats quêteurs. » (p. 23)

 

4. La  traduction œcuménique de la Bible donne pour les versets 15 à 18 : « Il lui fut donné d'animer l'image de la bête, de sorte qu'elle ait même la parole et fasse mettre à mort quiconque n'adorerait pas l'image de la bête. À tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, elle impose une marque sur la main droite ou sur le front. Et nul ne pourra acheter ou vendre, s'il ne porte la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom. C'est le moment d'avoir du discernement : celui qui a de l'intelligence, qu'il interprète le chiffre de la bête, car c'est un chiffre d'homme : et son chiffre est six cent soixante-six. » Source : Wikipédia.

 

 

MG – 20 décembre 2017.

Michel Meurdesoif dédicaçant sa nouvelle lors de la journée d'étude "Editer dans le Douaisis" à la bibliothèque Marceline Desbordes-Valmore de Douai - Photo : 2 décembre 2017.

Michel Meurdesoif dédicaçant sa nouvelle lors de la journée d'étude "Editer dans le Douaisis" à la bibliothèque Marceline Desbordes-Valmore de Douai - Photo : 2 décembre 2017.

Journée d'étude "Editer dans le Douaisis" à la bibliothèque Marceline Desbordes-Valmore de Douai. Au premier plan assis, de gauche à droite : Nathalie Pouille, Rémy Fleury, Roger Facon, Michel Meurdesoif ; debout de gauche à droite : Marc Mangin, Jean Vilbas, Michaël Grabarczyk - Photo : Serge Ottaviani, 2 décembre 2017.

Journée d'étude "Editer dans le Douaisis" à la bibliothèque Marceline Desbordes-Valmore de Douai. Au premier plan assis, de gauche à droite : Nathalie Pouille, Rémy Fleury, Roger Facon, Michel Meurdesoif ; debout de gauche à droite : Marc Mangin, Jean Vilbas, Michaël Grabarczyk - Photo : Serge Ottaviani, 2 décembre 2017.

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