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Théodore Banaszak, photographe anichois issu de l'immigration polonaise (première partie)

Publié le par MG

Portrait de Théodore Banaszak vers 1945.

Portrait de Théodore Banaszak vers 1945.

Ils étaient dix, ils étaient cent, ils étaient des milliers

A quitter leur pays, à s'expatrier.

Certains n'avaient pour ce voyage,

Qu'une vieille valise pour tout bagage.

Anonyme, Nos chers parents, les Polonais.

 

Figure emblématique de la ville d'Aniche, Théodore Banaszak (1922-2004) a exercé le métier de photographe en immortalisant les grands événements de sa commune d'accueil mais aussi ceux qui jalonnent la vie familiale de tout un chacun. Connu et reconnu pour son amabilité et son professionnalisme, rares, pourtant, sont ceux qui connaissent son parcours.

Assisté par Philippe Banaszak, petit-fils de Théodore, et par Willy Jendrowiak, spécialiste de l'histoire de l'immigration polonaise dans le Nord-Pas-de-Calais, j'ai souhaité, grâce aux documents mis à ma disposition (papiers administratifs, factures, photos, plaques de verre), revenir sur la singularité de cet immigré polonais devenu au fil du temps un modèle d'intégration quand on sait que la communauté polonaise du bassin minier du Nord de la France eut tant de difficultés à se faire accepter par les Français tout en s'efforçant de conserver ses us et coutumes. Qu'ils trouvent ici tous deux ma profonde gratitude.

Compte tenu du nombre de documents pouvant illustrer cette biographie et de l'importance des informations sur le sujet, ce travail de recherche se décomposera en trois articles dont voici le premier.

 

Théodore Banaszak naît le 23 août 1922 à Ickern, petite municipalité qui fusionnera en 1926 avec d'autres localités pour former la ville de Castrop-Rauxel dans l'actuelle région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, appartenant à l'arrondissement de Recklinghausen. Comme 450 000 de ses compatriotes exilés dans la Ruhr ou en Westphalie à la suite de l'occupation germanique d'une partie de l'ancienne Pologne, son père Louis trime sous terre à la recherche de l'or noir pour gagner sa vie. Sa mère, Josepha Luczak, compose tant bien que mal pour garantir la bonheur d'une famille nouvellement agrandie.

Portrait de Louis Banaszak, date non connue.

Portrait de Louis Banaszak, date non connue.

L'année 1923 marque un tournant en Allemagne tant d'un point de vue économique – le pays entre dans une phase dépressive sans précédent se traduisant par une hyperinflation – que diplomatique entre la République de Weimar et la France. Inquiet de l'inertie de la SDN (Société des Nations) et de l'incapacité allemande à rembourser ses dettes de guerre, Raymond Poincaré, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, décide d'aller chercher le charbon là où il se trouve. Le 11 janvier 1923, l'armée française occupe alors la Ruhr où plusieurs centaines de milliers de réfugiés polonais travaillent durement depuis 1913 dans les mines allemandes.

Ickern (actuelle place du marché de Castrop-Rauxel) occupé par l'armée française dès 1923.

Ickern (actuelle place du marché de Castrop-Rauxel) occupé par l'armée française dès 1923.

Si certains mineurs polonais repartent dans leur région d'origine dévastée, d'autres comme la famille Banaszak, migrent vers la France. Entre 1921 et 1938, plus de 300 000 Polonais s'installeront en Lorraine mais surtout dans le Nord-Pas-de-Calais et plus précisément dans les secteurs sinistrés par le conflit mondial de Lens, Liévin, Dourges et Ostricourt. Là, la pénurie de main-d'oeuvre nécessite l'embauche étrangère.

 

Afin de redresser l'économie tant locale que nationale, le Comité Central des Houillères de France puis, dès 1924, la Société Générale d'Immigration, recrutent pour les compagnies minières du nord de la France qui peinent à trouver des ouvriers locaux ou issus d'autres départements français, des Polonais. L'échec de l'intégration de travailleurs asiatiques et nord-africains durant les hostilités justifie la réorientation de l'Etat en matière de recrutement : il est préférable, comme le précise J.-C. Bonnet dans son ouvrage Les pouvoirs publics français et l'immigration dans l'entre-deux-guerres (1976) de « faire appel à la main d'oeuvre d'origine européenne de préférence à la main d'oeuvre coloniale ou exotique. »

 

Via la convention d'émigration signée le 3 septembre 1919 à Varsovie entre la France et la Pologne, la famille Banaszak transite dans un wagon à bestiaux et arrive, certainement au centre d'accueil de Toul ou d'Ecrouves, en Meurthe-et-Moselle avant de connaître en 1924 un lieu d'affectation. Ce sera la fosse n°6 dite Charles-Tilloy de la Compagnie des mines d'Ostricourt, détruite durant la Première Guerre mondiale et récemment reconstruite. Une nouvelle vie de labeur commence au cœur d'une concentration géographique, linguistique, culturelle et professionnelle quelque peu à l'écart des Français. Cette ségrégation spatiale décidée convient aux Polonais persuadés que leur séjour dans l'Hexagone ne sera que temporaire.

La fosse n° 6 et la cité ouvrière de la Compagnie des mines d'Ostricourt vers 1930. Source : Wikipédia.
La fosse n° 6 et la cité ouvrière de la Compagnie des mines d'Ostricourt vers 1930. Source : Wikipédia.

La fosse n° 6 et la cité ouvrière de la Compagnie des mines d'Ostricourt vers 1930. Source : Wikipédia.

La vie du jeune Théodore ressemble à celle de tous les enfants polonais arrivés sur le sol français. Dans les corons, la langue maternelle est d'usage et les contacts avec la population autochtone sont rares. En dehors de l'école où fusent les insultes de « sales polacks » ou de « sales boches » avant chaque bagarre et de la fosse où les mineurs français jalousent le salaire plus élevé des Westphaliens solidement formés dans les mines allemandes, les Polonais et surtout les Polonaises se tiennent à l'écart des Français.

 

Progressivement, la diffusion de journaux en langue polonaise (les quotidiens nationalistes Wiarus Polski et Narodowiec, par exemple), l'apparition de commerces spécialisés (boucherie, boulangerie, etc.) et la création d'associations, de sociétés artistiques, sportives et folkloriques comme les fameux « Sokols », renforcent cet isolement dans la cité ouvrière. Mais ce sont les aumôniers puis les prêtres polonais qui participent le plus au maintien de l'identité et de la culture polonaises. Des chapelles puis des églises s'élèvent au cœur de paroisses dites « polonaises ».

 

Dans le Nord comme dans le Pas-de-Calais, les compagnies minières commencent dès 1924 à subventionner l'enseignement de la langue polonaise dans les écoles privées. Pour les élèves inscrits dans les établissements publics, les cours de polonais ont lieu en fin de journée, après les heures de classe. A la maison, l'emploi de la langue polonaise est exigé par le père de famille qui rappelle qu' « à l'école peut-être, c'est la France. La rue aussi, c'est la France. Mais quand tu franchis le seuil de la maison, tu entres en Pologne. » (J. Majcherczyk, Les Emigrants, 1969)

 

MG - 14 novembre 2017.

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