L'horror vacui
C'est par une belle journée lumineuse suivant une tempête que tu sais le plus sûrement qui tu es, lorsque la moindre feuille qui tombe est frappée de conscience de soi.
Don Delillo, Body Art, 2001.
L'absence qui suit les longs moments de partage se vit douloureusement. Elle est un vide amer de sensations. Elle enfouit les souvenirs d'embrassade, ne laisant que des résidus d'émotions éparses et lointaines... Nos pensées conscientes se chevauchent et creusent alors dans les méandres de notre for intérieur à la recherche d'une couleur qui se serait cristallisée. L'anamnèse est ainsi la lutte contre l'oubli. Car pour combler le manque, il faut nous rappeler ce qui a enrichi l'instant passé.
L'absence est douleur parce qu'elle nous retire l'odeur, le rire, la caresse de l'être aimé. Elle marque l'arrêt de l'échange. Elle se vit comme une privation sensitive, une ascèse contrainte. A l'inverse de la synesthésie, l'absence procède par soustraction progressive de tonalités affectives jusqu'à leur effacement quasi définitif. Plus l'absence se prolonge, plus le souvenir devient vague, imprécis, incertain. Et notre affliction, plus intense qu'elle ne l'était quelques minutes plus tôt.
L'absence impose alors un silence des plus assourdissants. Nous ressentons l'inflexion de la voix chère qui s'est tue comme une dissonance intérieure. A l'extérieur de nous, toute tentative de taire les tons environnants accentue le tintamarre de la réalité. Vrombissements de la modernité ou cliquetis du moindre verbiage mécanique, conversation syncopée et phrases réduites à des onomatopées : les discordances extérieures couvrent ce qui reste de musical dans la réminiscence.
Ton absence est symptomatique de ma présente souffrance. Elle me dépossède, ici et maintenant, du plaisir de me fondre en toi, de parcourir les sinuosités de ton corps, d'épouser le galbe de tes seins. La distance et le temps qui nous désolidarisent, vaporisent la lactescence de ta chair, étouffent les sonorités puériles de ta voix qui résonnent quand tu te couches sous moi, évaporent la fragrance qu'exhale ton être lorsque, les yeux fermés, tu t'abandonnes. Aussi, me faut-il toujours me ruer vers toi, m'imprégner encore des moiteurs de notre union et retrouver la quiétude des passions assouvies.
Texte et photo : M.G. mai 2008.