Le salaire de la peur
Dans ce contexte finissant du "travailler plus pour gagner plus", deux amis attablés s'entretiennent au mileu de
regards inquisiteurs :
- 18 heures par semaine ??? Tu veux rire ? Qui refuserait de travailler si pe u pour un aussi bon salaire ?
- Ne sois pas cynique, veux-tu ? Et tenons compte du contexte de l'après-guerre puisque ce volume horaire a été fixé par un décret datant de 1950
qui estimait qu'une heure d'enseignement nécessitait une heure et trente minutes de travail préalable.
- Une heure trente pour faire des photocopies et préparer ton cartable, c'est exagéré, non ?
- Préparer... les cours !!! Evaluer les élèves ! Actualiser les connaissances disciplinaires requises pour exercer ! Je t'épargne, évidemment, le
temps consacré aux réunions et autres concertations entre collègues ou entre l'administration et le corps enseignant. En comptant bien, cela fait 18 fois 2h30, soit 45 heures hebdomadaires !
Faut-il te rappeler qu'à l'époque, la durée hebdomadaire légale de travail était de 40 heures ?
- Dans les années 50, mon vieux, on travaillait généralement 42 heures durant 50 semaines par an !!!
- C'est vrai. Toutefois, la troisième semaine de congés payés est adoptée dès 1956. La quatrième en 1968 et la cinquième en 1982 !
- Et c'est aussi dans ce con-texte d'avancées sociales - celui des années 1970 - que la semaine de 40 heures, créée depuis 1936, a été réellement atteinte par les salariés.
- Puis, 39 heures en 1982... 35 heures en 2000. Tout compte fait, la durée de travail hebdomadaire pour l'ensemble des salarés a diminué, depuis 1950, de 25% tandis que les profs doivent toujours effectuer le même service !
- Malheureux que tu fais ! Ne parlons plus travail. Parlons plutôt vacances...
- Je te vois venir... Là encore, évoquons le contexte ! Et la précaution du législateur de l'époque qui avait tout prévu pour niveler les travailleurs français ! Les 45 heures du prof de l'époque où les autres salariés travaillaient 42 heures - c'est exact, non ? - allaient justifier les petites vacances scolaires de la Toussaint à celles de Pâques. Le temps de travail d'un enseignant était déjà annualisé !
- Et les deux mois d'été ?
- Du chômage technique, pardi !
- Oh ! Je crois que tu évoques un bien douloureux contexte.
- Non. Il s'agit plutôt d'un étrange calcul pour fixer le salaire du prof.
- La grille salariale des enseignants n'est-elle pas la même que celle des autres cadres de la fonction publique ?
- Si ! Mais cette grille a été fixée en ôtant deux mois de salaire. Le montant des dix mois restant a été ensuite divisé par douze pour définir le salaire mensuel de l'enseignant. Si, par exemple, un cadre de la fonction publique gagne 2000 euros par mois, il déclarera avoir perçu 24000 euros annuels. A qualification égale, le prof reçoit lui aussi 2000 euros par mois mais sur dix mois ! Autrement dit, il perçoit par an 20000 euros. Et son salaire mensuel correspond à la somme annuelle divisée par douze : 1667 euros !
- Tu as raison, ce n'est pas une question de contexte.
- Non, il est davantage question de ce texte con qui offrait, en 1970, à celui qui s'engageait à éduquer les enfants de la République une paie deux fois supérieure au SMIC.
- A ce propos, tu es probablement au courant du projet de revalorisation du SMIC des candidats de gauche aux élections présidentielles ?
- Et toi ? Sais-tu que le salaire d'un jeune prof démarrant aujourd'hui sa carrière n'est plus que 1,2 fois plus élevé que le SMIC ? Veux-tu toujours savoir qui refuserait de travailler si peu pour un aussi bon salaire ?
- (s'adressant à tous les convives) Mes amis, quoi qu'il en soit, souvenons-nous de notre instituteur lisant Jacques Prévert : "quand on cite un texte con, n'oubliez pas le contexte" !
MG - 15 avril 2012.