Le cycliste et caporal Faber aux couleurs tranchées

La vraie nature de la Première Guerre mondiale peut aujourd’hui se lire au travers de témoignages écrits, sculptés, gravés, dessinés ou peints par les hommes appelés au front. Venus de tous les horizons et issus de toutes les classes sociales, ces Poilus ont tenté de calmer la terreur et de tuer l’ennui dans les tranchées, entre les combats, en transformant ce qu’ils trouvaient (métal de douilles, munitions, bouts de bois, etc.).

Au coeur d’une boucherie de masse où l’initiative et le courage personnel s’effaçaient devant le meurtre collectif, certains soldats ont fabriqué de délicates et précieuses œuvres qu’ils troquaient parfois contre des cigarettes ou de la nourriture. Ces travaux de Poilus étaient aussi offerts comme souvenirs aux familles lorsque ces héros meurtris rentraient chez eux.

L’objet-souvenir qui nous occupe a été réalisé par un soldat de 14-18 dont nous ignorons l’identité. Cette création artisanale de petit format (13 x 18 cm), encadrée sommairement et intitulée Ceux de 14 résulte d’incisions sur une fine tranche de bois dessinant deux Poilus face à face. Les deux seules teintes employées pour colorer la surface distinguent le soldat de 1914 appuyé sur sa bicyclette de course en pantalon rouge garance de celui de 1916 portant un casque Adrian, un masque à gaz et un uniforme bleu horizon.

Cet art de tranchées illustre l’évolution des équipements s’adaptant aux expérimentations de nouvelles armes toujours plus chimiques et meurtrières. Sur fond de ruines, le militaire à képi de 1914 placé à droite paraît stupéfait par celui d’après 1915, masqué et raide comme son fusil Lebel modèle de 1886, incapable de communiquer, ni de reconnaître son interlocuteur. Ne pourrions-nous pas voir les traits de François Faber (1887-1915), vainqueur du Tour de France en 1909, venu rendre une visite d’outre-tombe à un Poilu récemment habillé en bleu horizon ?

« Regarde, c’est moi ! », semble vouloir dire le cycliste en retournant son index en sa direction comme pour persuader le soldat masqué. Dans cet univers ruiniforme ne se dresse au loin, en haut à droite, qu’un édifice ressemblant étonnamment au Mont-Saint-Eloi, village du Pas-de-Calais où le Luxembourgeois Faber, engagé dès le 22 août 1914 dans la Légion étrangère pour servir la France, aurait été tué au combat le 9 mai 1915. Le corps du caporal Faber n’a jamais été retrouvé. Il sera officiellement déclaré mort par le tribunal de la Seine, le 10 mai 1918.

Texte : MG – 18 novembre 2023.