Aniche au cœur des tourments de l'âme dans les Cahiers-décharge de Pascal Françaix
Par temps d'averse, on lit pour éviter que l'esprit ne trempe et ne se noie. Il a tellement plu aujourd'hui qu'il me fallait quelque chose d'étanche. Un remontant ! Et c'est dans les vapeurs éthylo-linguistiques des Cahiers-décharge de Pascal Françaix que j'ai traversé cette journée dégoulinante.
L'auteur y narre les vicissitudes et les délires sordides de Philippe, un écrivain génial mais réduit à publier des romans porno, raciste mais entouré d'Arabes et homophobe qui se soûle quotidiennement, couche avec Rachid, martyrise sa mère tétraplégique et décharge ses émotions dans des cahiers. Si quelques funestes virées conduisent l'immonde personnage dans certaines villes et villages du Nord – Cambrai est citée et Monchecourt se cache probablement derrière « Monticourt » -, la plupart des beuveries et coups foireux se déroulent à Aniche. Et, dans cette ville où il a grandi, Pascal Françaix n'épargne aucun détail. Ce souci de réalisme s'appuie sur un phrasé fluide et brutal rappelant celui de Céline et sur un vocabulaire argotique accumulant les néologismes. Près de quatre cents pages et pourtant le rythme ne décélère jamais ! Pascal Françaix, qui porte bien son nom, livre ici un jeu sur la langue, sur l'écriture, sur la narration dont les nombreux double-sens et la crudité des images offrent au cadre une profondeur des plus noires. Cependant, l'auteur parvient dans cet univers local étouffant à insuffler aux êtres tourmentés une âme qui ne peut laisser insensible le lecteur...
MG - 22 juin 2015.
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Les cafés du centre d'Aniche (extraits) :
On est donc allés chez Raymond, au troquet Le Garden, mon bistrot familier du « centre ». Y'a pas grand'monde à cette heure-là. C'est au Péhème que vont les « apéros » - les clients de la onzième heure. Ici, les accoudés, c'est pas des mordus du planning. Ils connaissent pas les tranches horaires. C'est des libres buveurs, altérés à plein temps. Des champions du « contre la montre ». Ils se collent au goulot à peine émergés de Morphée. Le coq a pas poussé son premier corico que ceux-là ont déjà un bon coup dans la crête. Ils ont leur boutanche au chevet, parés à s'éclaircir la lampe avant d'enfiler leurs pantoufles.
Leur circuit commence à huit heures, à l'ouverture du P.M.U. La tronche couturée au rasage, le cheveu gras mais frais peigné et les paupières en écailles d'oeuf, ils vont d'un pas vaillant s'enfiler un blanc sec au comptoir du père Trouscani, le patron du Palais de la Bière. Ils se rendent ensuite au Paris, au Colorado, au Syndic – les trois troquets de la grand'place. Ils font un crochet au Garden, suivi d'une escale au Rallye, puis s'en retournent au P.M.U. Où ils s'arriment jusqu'à la graille. Après, pendant une heure, c'est terminé, on les voit plus. Ils ont regagné leur cambuse pour s'y mitonner un frichti. Passés les actualités, ils se repointent aux tabourets. Les calots en besace et tout flageolants des guiboles, ils peaufinent leur muflée avec une résignation scrupuleuse.
Ils sont comme ça un quarteron qui pérégrine en centre-ville. On sait toujours où les trouver – sauf que personne les cherche...
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Le café Le Garden d'Aniche (extraits) :
Au Garden, le vendredi soir, c'est pas mal fréquenté. Les mêmes bambocheurs à chaque fois, répétant toujours la même bringue. Depuis cinq six ans, la même guinse, tous les vendredis soirs – les mêmes invariables pékins au bar et dans la salle. Epaves finies, presqu'épaves, « aspirants » promis au naufrage. De temps en temps, une nouvelle tronche se pointe. Deux trois par an, qui viennent tâter la coque – parfois intégrer l'équipage. (…)
Il est plutôt le genre ronchon, Raymond... soupe au lait tête de lard... Mais c'est jamais qu'un masque. Tout au fond, c'est un affectif, attaché à sa clientèle. Ca lui fait du mouron quand un habitué se barre. C'est pas pour son chiffre d'affaires – il tolère des ardoises grandes comme des tableaux noirs – non... c'est par amitié, ça part d'un sentiment sincère...
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Le cimetière du centre d'Aniche (extrait) :
Quand j'arrive au cimetière, heureusement ça s'apaise. Ca tombe moins dru, à gouttes fines. Je me dirige vers la voyette qui longe le mur de droite et mène à des garages. C'est là qu'on se retrouvait dans le temps, pour pas que des passants nous voient faire le pied de grue devant les grilles. Gautier m'attend déjà, planqué dans le renforcement d'une porte de garage. Il m'attrape aux épaules, me bourrade les omoplates – trop content que je sois venu !... Mais juste après, il se renfrogne. Il me montre le haut du mur.
- C'est quoi c'bordel ? qu'il me demande. Les barbelés et tout l'bastringue ? C'est pour pas que les morts se barrent ?
- Plutôt pour pas que les vivants pénètrent...
- C'est la meilleure ! Qui aurait l'idée, à part nous ?
- Le maire craint les déprédations...
- Merde ! C'est de la connerie ! Y a rien à saccager là-dedans ! Pas une tombe qui tient debout ! Depuis des années, c'est en ruine ! Comment on va faire pour entrer ?
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