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Les White Reliefs de Ben Nicholson

Publié le par MG


La politique d'accrochage des institutions culturelles françaises, contrairement aux musées belges et hollandais, demeure très frileuse en matière de rapprochements stylistiques, techniques ou thématiques entre l'art contemporain et l'art des siècles précédents. Ce qui est regrettable lorsqu'on sait que toute démarche artistique s'inscrit dans un continuum historique et que le grand public qui fréquente ces lieux ressent, généralement et paradoxalement, une impression de compréhension de l'art ancien et une difficulté de compréhension de l'art du XXe siècle.  Or, la lecture d'un paysage ou d'une nature morte ne se limite pas à ce que l'on voit - en l'occurence la représentation d'un bosquet, d'une ville, d'un bouquet de fleurs ou d'un gibier étalé au premier plan -, mais s'appuie sur une codification d'époque qui nécessite un effort de recherche conséquent si l'on veut saisir pleinement le sens de l'oeuvre en question. On admirera évidemment l'habileté des artistes à imiter la nature et l'effet des arrangements. Cependant, au-delà de l'aspect purement visuel, le paysage et la nature morte servent de supports, par la richesse des symboles et l'austérité de la conception, à une méditation morale ou religieuse. Quant aux oeuvres contemporaines, elles ne se réduisent ni à des concepts que seuls les philosophes peuvent appréhender, ni à une représentation simpliste, à un "dessin d'enfant" ou à un "barbouillage". D'une manière générale, elles se veulent concrètes de par le choix des matériaux la composant et reflètent le monde complexe dans lequel on vit. En développant des projets culturels qui porteraient davantage sur la présentation d'un art comparativement à ce qui s'est produit dans les siècles précédents, les musées susciteraient des échanges formateurs et renverseraient probablement les idées reçues qu'entretient le grand public devant un portrait peint par Picasso ou une composition abstraite de Kandinsky.


NICHOLSONEn raison de leur apparente simplicité, les oeuvres de Ben Nicholson (1894-1982) qu'il réalisa autour de 1935 et qu'il désigna sous le titre de
White Reliefs retiendront ici toute notre attention et illustreront le propos tenu ci-dessus. Si leur composition de formes géométriques blanches sur fond blanc a de quoi déroger à la conception de la mimesis et à l'élaboration la plus farouche d'éléments usuels disposés dans un intérieur d'habitation, ces peintures constituent néanmoins un jalon non négligeable de l'évolution historique et esthétique du thème de la nature morte

Les
White Reliefs s'inscrivent, certes, dans la mouvance abstraite des années 1930 incarnée par une poignée d'artistes en mal de reconnaissance. A une époque où il faut opter entre une représentation simplifiée de la réalité - le cubisme - et une volonté de laisser libre cours aux élans tortueux de l'âme dans l'interprétation du monde - le surréalisme -, toute recherche pure et dure de couleurs, de formes et de surfaces est jugée non avenue et sans intérêt. Les "abstraits" doivent donc définir un art qui fasse forte impression et qui puisse essaimer dans toute l'Europe.

En France d'abord, sous l'impulsion du critique Michel Seuphor, un cercle d'artistes décide de fonder en 1931 l'association Abstraction-Création dans l'unique but d'adopter, en toute légitimité, une démarche non figurative. C'est autour de Torrès-Garcia, de Mondrian et de Arp entre autres, que se réunissent les tendances constructivistes européennes. Ben Nicholson est de ceux qui adhèrent et participent aux expositions du groupe parisien. Ses nouveaux contacts vont ainsi lui permettre d'élaborer un art personnel et de promouvoir l'abstraction en Angleterre. En 1937, il sera d'ailleurs, avec le sculpteur Naum Gabo et l'architecte Leslie Martin, l'un des directeurs de la revue
Circle - panorama international d'art constructiviste.

L'interaction de la sculpture et de la peinture dans l'oeuvre de Nicholson est emprunte à la fois du néo-pasticisme de Mondrian et du constructivisme de Naum Gabo. Comme en témoignent les White Reliefs, les surfaces de bois travaillées à la main sans mesure ni dessin préalable deviennent progressivement plus importantes que la couleur. La peinture pour Nicholson ne réside pas dans l'imitation du réel mais bien dans le faire. Néanmoins, son art plonge ses racines dans l'observation directe de la nature et, plus particulièrement, des natures mortes.


Il est indéniable que les oeuvres de Ben Nicholson du milieu des années 1930 résultent d'une certaine épuration de la peinture non objective et d'une tentative élémentariste de formes et de couleurs prônée par les artistes abstraits. Mais, il n'en demeure pas moins que les cercles et rectangles des White Reliefs sont à envisager comme des objets issus d'une nature morte : une assiette ici, un livre là. La place de telles oeuvres entre des peintures hollandaises du XVIIe siècle et des compositions géométriques d'un Villon par exemple renforcerait un parti pris muséographique didactique et offrirait une confrontation des plus judicieuses.

M. G. 1999-2008





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C
Je ne sais pas s'il est possible d'établir un rapport entre entre une de mes aquarelles de nature morte comme celle du potiron et une oeuvre aussi moderne que les White reliefs... Mais en tout cas j'ai trouvé de l'intérêt a lire cet article et je ne suis fermée à aucune forme d'expression. Je me suis inscrite à la communauté 'écriture et culture'. Le premier article que j'y poserai sera très figuratif et reflètera une forme d'expression très classique ! Amicalement, Claire
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