Marc Ronet, entre dessin et peinture
Elève d'Eugène Dodeigne à l'école Saint-Luc de Tournai, ami d'Eugène
Leroy, Marc Ronet est au sein du Groupe de Roubaix, l'artiste le plus jeune (il est né en 1937), le plus discret (il expose rarement) et l'un des plus talentueux. Depuis les
oeuvres de jeunesse, son intarissable quête de la peinture le conduit à des changements, des revirements, des abandons... Mais Ronet reste toujours lui-même. Si de nombreux petits dessins nous
révèlent un être intime et familier, les grands travaux sont des oeuvres fortes dans lesquelles il met ses dons exceptionnels de l'expression plastique, son émotion et son sens du drame. C'est
l'occasion ici de (re)découvrir cet artiste fidèle à lui-même et qui jauge tout en profondeur.
L'oeuvre de Ronet ne semble être fait que de tensions et d'oppositions : tout est question
de rapports entre l'équilibre et le déséquilibre d'une forme ou d'un ton, entre l'intérieur et l'extérieur, entre la lumière et l'ombre, entre la transparence et l'opacité, entre les vides et les
pleins... Une impression étrange s'en dégage. Chaque élément possède à la fois une valeur symbolique (référence à un monde préexistant) et une valeur dramatique (élément nécessaire à la logique
interne de l'oeuvre), et c'est cette ambivalence qui rend l'art de Ronet si inquiétant. Or, l'esprit humain a naturellement besoin de certitudes.
Quand il dessine, Ronet ne se sent aucunement obligé de se restreindre aux effets de blanc et noir ; quand il peint, il est rare qu'il cherche des accords
très colorés. Il a un goût prononcé pour la couleur employée discrètement, souvent ton sur ton, avec une prédilection marquée pour la gamme des terres, et une entente subtile de l'infinie variété
des blancs et des noirs. Et tout cela est ordonné aux valeurs, à la création d'une lumière mystérieuse, expressive et dramatique. Certes Ronet est un coloriste - car on peut l'être avec peu de
couleurs tels Velasquez et Rembrandt, ces lyriques du noir - mais il est avant tout un tonaliste, un grand valoriste.
Il y a cependant chez Ronet un refus de réduire la lumière à un éclairage. Cette lumière est en quelque sorte la projection, sur les éléments de la
composition, d'une clarté issue d'un feu intérieur. Elle est poétique. Contrairement aux peintres qui tournent autour de l'objet, des formes, Ronet les pénètre et en prend possession. Quelques
thèmes seulement le préoccupent et sont traités à la fois sur papier et sur toile. Nous pourrions nous attendre à une lassitude évidente. Mais il n'en est rien. Il n'est jamais deux têtes ou
deux paysages qui se ressemblent. Son refus de toute méthode formaliste nous laisse devant un oeuvre riche et varié, un retour dans la différence.
L'oeuvre de Ronet met ainsi en valeur la part de réflexion et celle d'un tempérament instinctif. Le sujet représenté n'a en soi que peu d'importance : l'oeuvre émane avant tout d'une âme qui a
ressenti tout ce que la vie a de plus poignant et de plus tragique. Et cette âme s'exprime en des orchestations d'ocres, de blanc chaud et de rouge qu'un feu intérieur spiritualise. Nous ne
dirons jamais tout sur ce travail complexe, et il semble bien plus difficile encore, au travers de ce style si personnel, de l'évaluer pleinement. C'est pourquoi, l'intérêt pour l'oeuvre de Marc
Ronet ira grandissant.
MG, in dossier de presse, galerie Kita, Lille, septembre 2001 et Sortir n°544 du 03 au 09 octobre 2001.
Photographies :
Marc Ronet, Sans titre, 102 x 75 cm.,
technique mixte sur papier, 1998.
Marc Ronet, Sans titre (diptyque), 97 x 260 cm., huile sur toile, 2001.
Entretien avec Marc Ronet
MG : Il y a si peu d'artistes dont on peut dire que le travail reste cohérent et évolutif depuis les oeuvres de jeunesse... Quelles sont donc vos préoccupations ?
MR : Depuis toujours, c'est une recherche, une intarissable quête de la peinture... Car qu'est-ce que peindre aujourd'hui finalement ?
MG : Eugène Leroy m'avait "offert" la même
interrogation...
MR : Il se peut qu'à un moment donné nous avions les mêmes tourments... C'était un ami : il m'arrivait de lui rendre visite, ne
serait-ce que pour savoir où nous en étions. Cependant, à l'inverse de Leroy, il n'y a aucune gourmandise, aucune accumulation dans mon travail. Voyez ces "griffures", ces estompages, cette
réduction... C'est une recherche... une véritable recherche... Eugène Leroy savait, d'un geste perpendiculaire à la toile, déposer la peinture. Personnellement, je ne sais pas peindre de cette
manière. Je n'ai jamais su. Ecraser, balayer et promener le pinceau sur la toile ? Non, j'oeuvre dans l'urgence.
MG : A l'huile ? Ne travaillez-vous pas sur plusieurs toiles simultanément ?
MR : Non, je travaille une seule toile à la fois car je livre un combat dans et contre le support. Qu'il en soit en toile ou en papier, j'envisage le support comme
un terrain de jeu dans lequel ma liberté de faire rencontre des règles. Le résultat s'apparente à une peau. Je me souviens de mon étonnement lorsque je vis pour la première fois l'émergence, dans
ma peinture, d'une structure : l'empreinte du châssis sur la surface du tableau. Au début, cela me dérangeait. Mais le miroir me révéla que ma propre peau était, elle-même, tributaire d'une
ossature. J'ai donc poursuivi dans ce sens.
MG : Il y a tant de paradoxes dans
votre travail. Vous triturez le support alors que l'oeuvre reste harmonieuse ; le recours à des techniques mixtes vous amène vers un absolu, une sérénité. Quant à vos teintes - indéniable
héritage de la tradition flamande -, elles vous inscrivent dans une continuité historique. Cela s'explique-t-il ?
MR : Je peins dans des lieux où se passent les choses. L'art contemporain a vidé la peinture de ses lieux. Mes exigences sont relatives au format, à l'espace.
Ailleurs, je me concentrerai davantage sur la couleur ; ici, c'est la lumière qui occupe mes pensées. Quant aux paradoxes ou "oppositions", je les cultive certainement : tout est question de
rapports ente équilibre et déséquilibre, vides et pleins... C'est d'ailleurs assez étrange : la plénitude suggère le vide. Regardez Boucher : il a représenté des femmes nues qu'il ne connaissait
même pas.
MG : Cela est d'autant plus étrange lorsqu'on considère l'engagement physique dont vous faites preuve lors de la réalisation d'une oeuvre : déploiement
des couleurs sur la toile, véhémence et virulence de certains gestes, acharnement à faire et résistance, voire persistance du support à exister. Pourtant, vos sujets demeurent silencieux, votre
palette s'avère sourde et vos nuances se révèlent très délicates.
MR : Peut-être, car ce n'est pas moi qui décide de tout. La peinture a son mot à dire. Quand elle me parle, quand elle s'impose à moi, je fais en sorte que le
dialogue existe, qu'il y ait un échange, un consensus. Moi qui refuse toute autorité, toute règle, j'accueille avec bienveillance la rigueur, les restrictions et les containtes que les matériaux
et supports exigent.
Photographie et propos recueillis dans l'atelier de Marc Ronet à Halluin, le 28 juin 2001.