Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Joachim du Bellay, Heureux qui comme Ulysse

Publié le par MG

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

Joachim du Bellay, Les Regrets, sonnet XXXI (orthographe modernisée), 1558.


Dans ce poème extrait du recueil Les Regrets composé de 191 sonnets, Joachim du Bellay (1522-1560), profondément déçu par son séjour à Rome exprime sa nostalgie du pays natal. Comme pour tous les intellectuels humanistes de son époque, l'Italie représente pour lui un lieu de pélerinage où chacun cherche à retrouver les traces des grands penseurs de l'Antiquité...

La Renaissance est une période durant laquelle artistes et écrivains redécouvrent l'Antiquité. L'énoncé du sonnet de du Bellay renvoie à cette époque reculée. En effet, il fait référence à des épisodes mythologiques tels que l'Odyssée dans le bassin méditerranéen du Grec Ulysse ou l'expédition en Colchide (actuelle Géorgie) de l'autre Grec Jason pour conquérir la Toison d'Or, mais aussi à des vérités historiques comme l'étendue et la grandeur de l'empire romain. Ces marques de l'Histoire apparaissent dans les noms cités ("Ulysse", "Palatin", "Tibre", "mont Palatin"), les expressions ("conquit la Toison"), les signes caractéristiques de l'époque romaine ("marbre", "palais") et le style de du Bellay lorsqu'il adopte la forme fixe du sonnet qu'il a découvert en lisant le poète italien Pétrarque.


Enonciateur du texte ("je", "ma"), Joachim du Bellay témoigne de la déception de son séjour de 1553 à 1557 à Rome et de la nostalgie de son "petit village", le "Liré". Il se remémore certains détails de sa région natale ("l'ardoise fine" des toitures des maisons, "(s)on Loire", "la douceur angevine") et les compare avec ceux de la ville italienne où il séjourne. En utilisant, par exemple, au masculin le nom de la Loire comme on le fait en latin (Liger), du Bellay renforce l'idée d'un conflit entre les valeurs de sa patrie et celles de Rome qui, jadis, a opprimé la Gaule, et qui est aujourd'hui, selon lui, en pleine décadence. En effet, alors qu'il est secrétaire de son oncle, le cardinal Jean du Bellay, se fomentent à la Cour papale des intrigues en tous genres...
 

Comme son ami Ronsard, Joachim du Bellay entend défendre la langue française. Tous deux expriment leur admiration pour les oeuvres gréco-latines de l'Antiquité, ainsi que pour les écrivains des XIVe et XVe siècles. En reprenant dans son sonnet certains vocables anciens ou hérités de la tradition populaire ("cestuy-là", "province"), du Bellay affirme sa volonté de rendre le français aussi noble que le latin. Aujourd'hui, ses textes constituent encore une référence pour nombre de poètes ou chanteurs qui le citent ou mettent en musique ce célèbre Heureux qui comme Ulysse...

MG 09 mai 2009.


 

 

Commenter cet article
M
Bonjour Yo,Le reste des paroles de la chanson de Ridan sont de Ridan lui-même... qui rame pour être à la hauteur de du Bellay !A bientôt.
Répondre
Y
Salut MG ! Content de retourner sur ton blog après deux mois de vacances méritées ! J'aurais une question concernant l'oeuvre de Ridan et celle de Du bellay : d'où vient le dernier couplet de la chanson qu'on ne retrouve pas chez Du Bellay ? J'ai cherché sur le net mais en vain... Amitiés artistiques !
Répondre
B
j'ai eu plaisir à lire ce texte.joli poème au goût du jour
Répondre
S
Merci pour ces courts instants de bonheur.
Répondre
A
Bonjour , Merci pour votre site et votre article ... çA phot ' Aux Yeux ....!A+ de vous relire , Sincère Salutations ... Abraham . S
Répondre
M
Merci Bataillou pour ton voyage sur mon site.MG
Répondre
B
moi, c'est un beau voyage que j'ai fait à travers ton blog.
Répondre
M
En effet, j'ai d'ailleurs découvert ce poème via une chanson de Brassens, chanteur/poète préféré de mon père...
Répondre
N
Ce fut bien agréable de visiter ton blog ce matin, j'y ai passé un peu de temps, vu les vidéos, écouté la musique, lu tes cours, ça me donnerai presque envie de retourner à l'école.Bonne journée, ici le soleil est au rendez-vous.
Répondre
M
Ami,Quelle fidélité marquée par tes réguliers passages ici où, n'étant pas créatif, je me contente d'admirer le travail des autres !Avec affection,MG
Répondre
D
Epoque ouverte aux aventures, "Défense et illustration de la langue Française", toute la Pléiade, école des 7 poètes, artisans qui perfectionnent leur travail, par la force de l'habitude, et, celui dont tu parles, néo-Pétrarquiste dès ses 15 ans, bien sûr, une douleur de l'exil que je puis connaître aussi, La Lys (pour Loire)  loin de cet Océan que je vois, sais-tu, "la poésie de la plainte" s'écoute encore sur la Lyre et la Flûte de Pan des arbres de MAI d'ici, que je vois, au mois de Mercure, justement, celui qui, précurseur d'Ulysse,  enjamba son berceau dès la naissance pour aller visiter le Monde !!! Faste et déclin de quelle époque, que la nôtre, encore, non ?.. Univers artificiel de la ruse , de la feintise, de la dépression, c'est toujours 2009, mais c'est Du Bellay qu'on entend, par ton article que j'aime, déjà... Les Antiquités de Rome nous viennent de Lille !!! Ah oui les ténèbres du Moyen-âge s'y réveillent donc... Beauté du soir, Bertrand (qui a vu gagner En avant Guinguamp !!!)
Répondre