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Le soupir d'Astérion

Publié le par MG

12 décembre 2012. L'humanité, privée de valeurs, court à la recherche de mythes anciens pour comprendre ce qu'elle traverse. Vindicative, elle vient de condamner les enfants de Laïos et s'apprête à se prononcer sur les agissements d'Astérion. Celui-ci, à la barre, le coeur brisé face à un auditoire oecuménique et transgénérationnel, exhale, à midi et douze minutes, son dernier soupir... 

 

ASTERION, face à ses juges. - Entendez la vérité à mon sujet avant que je ne m'essouffle. Elle sera simple et sans détour. Laissez-moi vous guider dans le dédale de la rhétorique ; tant de jeunes femmes s'y sont déjà perdues ! En retour, oubliez un instant seulement l'idée que j'ai pu jouir du tribut que leur imposait ma destinée. Impuissant, je les ai vues abandonner leur âme docilement. Elles me blâmeront toujours, là où elles sont aujourd'hui.

2010.12.28 LE MINOTAUREVos récits - oh... vides de sens ! - me décrivent comme un être avide de belles chairs, une créature hybride dont la personnalité aux multiples facettes se régale de l'innocence de ses victimes. Or, si j'ai vaincu comme vous le prétendez, c'est que mon existence ne tenait qu'à un fil : celui de la passion.

Peu importe que vous me nommiez tantôt "l'Etoilé", tantôt "l'Image de Dieu", puisqu'aucun astre ne dessine encore à ce jour ma trajectoire... et Dieu n'a pas de visage. Vos propos ternissent mon éclat et gomment ma superbe du temps où je respirais. Vous ne retenez que le nombre infini de mes souffre-douleur. Des victimes pourtant de leurs errances et de leurs ébats ! Vos paroles m'accordent l'éternité, mais je n'acquerrai guère, comme vous, l'immortalité. Je le sais maintenant.

Je vous supplie donc de ne plus voir en moi la Bête aux agissements contre-nature puisque la Nature m'a ainsi fait. Pensez-vous vraiment que l'on soit responsable de ses origines et de sa condition ? Jugez-moi, s'il le faut, coupable des désirs et des espoirs que je garde encore à ce jour et en cette place. Incriminez-moi plutôt pour les affinités électives que conservera ma mémoire.

 

S'adressant à la princesse de Delphes. - De toutes celles que j'ai croisées dans les couloirs labyrinthiques de mon antre, vous seule m'avez conduit dans les méandres de l'Amour. Mais il est vrai que je me suis penché sur quelques jouvencelles effarouchées et, qu'au lendemain de bacchanales, j'aspirais à de nouvelles initiations toujours plus licencieuses qu'extravagantes. Jusqu'à ce matin d'automne, où vous m'êtes apparue, sans paroles...

J'ai goûté, durant de Grandes Années, aux plaisirs de chatteries d'infortunées amenées par l'indulgente Providence d'hommes momentanément défaits de leurs atouts. Je reconnais m'être délecté de ce convoiement de brunes, de blondes, de rousses effarées face à l'intrigante créature recluse dans les marges de la normalité et dont l'amoralité se reflétait dans leurs iris. Votre silence, ma Dame, fait en ce lieu écho à ma monstruosité...


Après un long silence, plus calmement, s'adressant toujours à la princesse de Delphes. - C'est au point du jour que tous les âges se rencontrent. Telle cette Reine d'une époque révolue sur qui le regard du monde s'est longtemps posé, votre splendeur et votre magnificence n'ayant point d'égal en cette heure ouvrent une ère nouvelle dans laquelle le merveilleux se mêle à l'infini. Je respire, avec vous, une dernière fois l'Histoire qui s'annonce.

MINOTAURE 2Vous souviendrez-vous, demain, m'avoir trouvé dans ce monde oublié ? Au large d'Egée, les caresses des esquifs soulignaient la torpeur de l'humanité. Et, belle Atlante, tandis que vous me supportiez, je m'imprégnais de la transpiration de notre étreinte. Dans la ruelle voisine miaulait un chat égaré. Au loin, quelques lézards étalaient leurs flancs sur des ruines vénitiennes. Rappelez-vous les mots doux qui vous pénétraient. Vous receviez la vie à l'instant même où ce vieillard accompagné de son âne s'évaporait dans la chaleur de l'été.

Dois-je, ô ma Reine, invoquer Vénus dont la grâce traverse le temps pour évoquer la justesse de vos traits et la sensualité de vos courbes ? Qui ne suffoquerait autant que moi en humant votre chevelure ? Depuis votre premier regard, je me suis senti étouffé dans ma laideur. Combien de fois me suis-je demandé comment la Belle percevait-elle la Créature ?

J'ai vu en vous, étendue et nue, l'Origine qui se donnait à l'être nouveau et, dans la fébrilité de vos gestes, le souvenir phylogénétique des fantasmes humains. Puissiez-vous ressentir bientôt ce qui m'anime en ces mots ! Chaque nuit, j'ai souhaité déverser en vous, sous vos dessous de soie - soit ! - ce qui me traversait ou me redressait. Mais aujourd'hui, sans avis ni préavis, vous fuyez.

 

Se retournant maintenant vers ses juges. - Vous aussi, fiels décampeurs, n'osant avouer ce qui vous agite, ne pouvant dorénavant vous prosterner devant la silhouette qui se découpait si peu dans le feu du soleil levant, aveuglés et frustrés de n'avoir pu caresser la douceur et la finesse du voile virevoletant au-dessus de vos têtes, vous condamnez gratuitement ! Et tardivement...

 

Fixant du regard la princesse. - Majesté, vous qui trônez sans pareil au firmament des déesses vénérées, vous voici toujours plus silencieuse et distante. Mais la journée s'achève ; dehors, le monde vocifère. C'est de votre sagesse que résonnera la sentence ! 

Vous m'avez rejoint au coeur d'une nuit... Je m'en souviens. Votre dessein malsain satisfera mon entre-prise. Si votre mutisme vous sert ce jour, je passe maintenant sous silence votre abandon...

 

 

Illustrations de haut en bas :

- Nadège Dauvergne, Le Minotaure, encre sur papier, 21 x 29,7 cm, 2010, coll. MG, Lille.

- Pablo Picasso, Minotaure et femme nue, thème de "L'Etreinte", retirage de la suite Vollard, 1939, réédition de Mulheim sur papier Richard Lebas, 27 x 34 cm, 1990, coll. MG, Lille.

 

 

MG  - 16 juin 2011.



 

 


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N
<br /> <br /> C'est un texte dense et fort<br /> <br /> <br /> Merci M, pour l'ajout du dessin.<br /> <br /> <br /> <br />
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