Didymeion ou le temple d'Apollon à Didymes
Didim n'est plus que le reste d'une cité d'Asie mineure située à moins de vingt kilomètres au sud de Milet. Les ruines qui peinent aujourd'hui à se dresser dans la chaleur écrasante de l'Anatolie rappellent la dernière reconstruction du sanctuaire oraculaire d'époque archaïque que régissaient au VIIe siècle avant notre ère les prêtres Branchides et détruite par les Perses en 494.
Le Didymeion, saccagé, fatigué des outrages des hommes et du temps, avait été conçu par Paeonios d'Ephèse et Daphnis de Milet en vue d'ériger un diptère colossal - les travaux allaient s'échelonner sur près de cinq siècles - pouvant contenir l'ancienne statue de bronze d'Apollon de Canachos. Apollon, fils de Zeus et de Léto, était encore une fois représenté dans une éternelle jeunesse et sculpté avec un arc plutôt qu'avec une lyre. Apollon, dieu protecteur et guérisseur des fidèles venus déposer leurs offrandes.
Ce temple d'Apollon, ravagé par un séisme au Xe siècle, frappe encore mon imagination par l'innovation de sa conception et par son impressionnante élévation.
Vers 313 avant J.C., les constructeurs avaient intégré dans une formule architecturale de proportions gigantesques les éléments primitifs essentiels de l'ancien oracle à un cadre fastueux mais classique : la source et l'arbre sacré. Ce temple hellénistique recouvrant les fondations de l'édifice archaïque dessinait un diptère décastyle ionique in antis de 116 mètres sur 52, mesures prises au stylobate. Il se dressait, en son temps, sur un soubassement de sept degrés d'une hauteur de 3,15 mètres, qu'un escalier de quatorze marches permettait l'ascension vers la façade orientale.
Une forêt de colonnes à l'intérieur du temple supportait le toit du péristyle et se dédoublait par un premier cercle comprenant 210 colonnes et un second, érigé autour du naos, accueillant 152 fûts. La compacité de l'édifice reposait sur le grand rapprochement des supports cylindriques. En effet, le rapport entre l'entrecolonnement et le diamètre des colonnes étant de 1,66 permettait cette étroitesse de la colonnade qui n'était en aucun point comparable avec celles des grands temples attiques.
Le corps central se détachait par la présence à l'est d'un pronaos encombré de trois rangées de quatre colonnes in antis, qui subdivisaient la salle en cinq nefs de trois travées. Le mur de fond de ce pronaos était percé d'une porte inutilisable d'une hauteur de quatorze mètres. Derrière elle, une salle couverte s'ouvrait par trois baies sur un large escalier débouchant sur une immense cour intérieure plus basse de quatre à cinq mètres que le niveau du péristyle.
Au fond de cette cour à ciel ouvert se dressait un petit temple prostyle abritant la statue de culte. Le large escalier intercalaire entre l'antichambre et la cour où le laurier sacré verdoyait, comprenait vingt-deux gradins. A côté de ce naïskos prostyle tétrastyle se trouvaient le laurier et la source oraculaire.
Cet édifice hellénistique, original par son dispositif intérieur aux dimensions phénoménales, se caractérisait également par son impressionnante élévation. Les comptes des travaux qui ont été conservés, témoignent encore du coût exorbitant de l'entreprise et notamment de la construction des supports.
Les 120 colonnes d'ordre ionique de la péristasis atteignaient la hauteur de vingt mètres. Le rapport entre cette hauteur et le diamètre des supports était de dix, révélant l'élancement de la colonnade. Les fûts profondément cannelés reposaient sur une base richement filetées avec double scotie et tore. Les hauts-reliefs dont quelques restes sont aujourd'hui conservés au British Museum de Londres qui décoraient les tambours inférieurs de toutes les colonnes de la façade représentaient des figures de korè. Les chapiteaux à volutes imposantes portaient un entablement qui recevait une décoration de lions sculptés au IIe siècle avant notre ère, symboles de la ville de Milet. Cet entablement était néanmoins léger et ne représentait qu'un sixième de la hauteur du péristyle.
Les murs intérieurs de ce monument hypètre atteignaient, eux, une hauteur de vingt-cinq mètres et se caractérisaient, tout comme la krépis et l'entablement, par une incurvation exceptionnelle pour un temple ionique. J'aime imaginer que lorsqu'on pénétrait dans le Didyméion, on pouvait admirer de chaque côté du grand escalier à ciel ouvert, la série de pilastres corinthiens faisant le tour. De là, on voyait jaillir entre les piliers le couple de deux demi-colonnes corinthiennes se dressant au-dessus des marches.
Ainsi, le Didymeion était composé de trois parties : le péristyle qui n'était qu'un décor extérieur, la cour intérieure plus basse et l'immense escalier donnant sur la salle couverte à deux colonnes. Et c'est à partir de ces trois articulations que les architectes avaient établi un jeu décoratif impressionnant. Sur les piédestaux des colonnes de la péristasis, on remarque encore aujourd'hui les variantes recherchées.
Dans le naïskos situé dans la cour à ciel ouvert, les murs semblaient dépourvus de tout ornement. Néanmoins, le plafond était d'une splendeur inégalée. Quant aux décorations qui couraient sur les chapiteaux des colonnes, des pilastres et sur la frise de l'entablement, elles paraissaient aussi riches que diverses : motifs animaliers et mythiques (lions ailés, têtes d'aigle avec corps de félin...), motifs végétaux (feuilles d'acanthe, spirales florales...), bustes de divinités et korè.
Répondant aux exigences du culte oraculaire et enveloppé dans une structure extérieure classique, le temple apollonien de Didymes apparaissait du temps d'Alexandre le Grand comme une architecture puissante et riche par ses motifs sculptés dans lequel les violents contrastes d'ombres et de lumière surprenaient quiconque le gravissait. Du moins, c'est ce que crois lorsque je déambule au milieu des pierres retournées.
MG - 11 juillet 2012.