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Hendrick III van Cleef, La Tour de Babel

Publié le par MG

Hendrick van Cleef, La Tour de Babel, datation non connue,  huile sur cuivre, 42 x 55 cm, Fondation Custodia, Institut néerlandais, Paris.

Hendrick van Cleef, La Tour de Babel, datation non connue, huile sur cuivre, 42 x 55 cm, Fondation Custodia, Institut néerlandais, Paris.

  • Le contexte artistique :

A la Renaissance, on rêve d'un monde oriental que l'on assimile au cadre des épisodes bibliques. Ce monde exotique fascine peut-être parce que la communauté chrétienne y trouve ses racines et que les Croisés ont raconté tant de choses merveilleuses qui s'y sont déroulées. On aspire aussi aux splendeurs antiques de l'Italie que les artistes ne manqueront pas d'en retranscrire les aspects ruiniformes et d'en capter l'atmosphère lumineuse.

Avec cette influence italienne on assiste, chez les peintres du Nord, à une recrudescence d'intérêt pour les détails décoratifs et les déformations prononcées. Dans la peinture de paysage, l'accent est mis sur une vision panoramique de la ville devant laquelle s'impose une architecture insolite, composite. Cette dimension gigantesque permet, par exemple, à la tour de Babel de devenir le sujet qui occupe l'espace du tableau habituellement réservé à la représentation de personnages. Le goût italianisant conduit certains artistes à abandonner l'image d'une tour fantastique pour représenter un édifice plus proche de la réalité.

 

  • L'artiste :

Fils de Willem van Cleve, ancêtre fondateur de cette illustre lignée de peintres, Hendrick van Cleve est né à Anvers en 1525 et suit une formation dans l’atelier de Frans Floris. Il fait le voyage en Italie avant 1551, l’année même où il est reçu franc-maître dans la Guilde de Saint-Luc d'Anvers. Il semble aussi être connu comme maître de la Guilde d’Utrecht sous le nom d’Hendrick “van Cleef” où sa présence est attestée en 1569.

On ne connaît que peu de chose sur son œuvre sinon les gravures éditées par Filips Galle d’après ses paysages topographiques, ses vues urbaines - dont celles de Rome - ou ses ruines romaines.  Quelques tableaux seulement sont attestés de sa main grâce au monogramme HVC : des versions d’une vue du Vatican, un panorama de la ville de Rome datant de 1550, une vue des jardins du Cardinal Cesi à Rome, des exemplaires de la construction de la Tour de Babel, d’un style très impressionnant, proche de ceux de Marten Van Valckenborch, dont un, autrefois attribué à Hans Rottenhammer, fait penser à un dessin d’architecte ou à une grande miniature peinte, qui ouvrent la voie à une conception grandiose du paysage et des réunions galantes dans un décor antique ou dans un palais.

 

  • L'oeuvre :

Comme toutes les tours de Babel inventées par les peintres flamands du XVIe siècle, celle que représente Hendrick van Cleef occupe, avec son échelle colossale, presque toute la surface du support. Architecture de rêve, elle conserve, à l'exception de sa base, la rotondité jusqu'à son sommet avec une décroissance progressive des étages que l'on relève dans les tableaux de Brueghel l'Ancien, de Lucas van Valckenborch ou de Tobias Verhaecht. De plus, elle est également ouverte sur tout son pourtour par de grands arcs cintrés distribués régulièrement dont la construction, conformément au récit biblique, reste inachevée aux derniers niveaux, laissant entrevoir l'intérieur comme dans une ruine.

Toutefois, van Cleef s'éloigne du modèle coliséen qui inspire nombre de ses contemporains traitant du même thème en proposant une variation plus maniériste du sujet, accentuant de surcroît la forme conique de la tour. Les relevés in situ d'après les palais antiques et renaissants qu'il réalise lors de son voyage à Rome vers le milieu du siècle, lui offrent des éléments architectoniques nouveaux qu'il agence au gré de sa fantaisie au fur et à mesure que sa tour s'élève vers les cieux : moellons en opus incertum, fenêtres à meneaux, claveaux surlignant les arcs pein cintre, corniches et entablements proéminents... Le choix d'une perspective axonométrique accusant les reliefs, la disposition symétrique des détails ordonançant les façades de part et d'autre de l'arête vive du premier niveau, les ponts et les larges artères en dénivellation ascendante : tout concourt à diriger notre regard vers le haut de cette tour qui ne finit pas de se dresser, piquant bientôt la voûte céleste.

Fiat lux : la lumière qui émane de la gauche du tableau, transcription du verbe divin, révèle au mieux la démesure de l'entreprise humaine qui se donne à voir tel un spectacle. La dimension théâtrale apparaît davantage encore au premier plan. A défaut de trouver un rocher qui mord sur la structure au pied de la tour comme dans la plupart des images babéliennes composées par les peintres flamands de cette époque, ce sont des pignons de bâtisses qui encadrent l'animation des personnages à contre-jour sur ce qui semble être un belvédère. Cette scénographie d'un mystère et mythologique, et biblique, qui se joue devant nous telle une mansion insuffle un  renouveau dans la peinture topographique des pays de l'Europe du Nord.

 

MG - 29 août 2012.

 

 

Lire aussi :

- Babel renaissante ;

- Lucas van Valckenborch, La Tour de Babel ;

- Babel moderne.

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