Les Rencontres culturelles à Aniche : chronique d'une mort programmée
Juger, c'est de toute évidence ne pas comprendre ; si l'on comprenait, on ne pourrait plus juger.
André Malraux, Les Conquérants, 1928.
Créées le 4 février 2015 à Aniche, les Rencontres culturelles cesseront le mercredi soir du 15 mars 2017. Pourtant, ces rendez-vous hebdomadaires gratuits pour tous, animés par des bénévoles passionnés d'histoire, d'histoire de l'art, d'arts plastiques, de cinéma, de littérature, de gastronomie, etc., ont attiré en moyenne une trentaine de personnes. Retour sur les raisons de cette mort programmée d'une culture pour tous à Aniche.
Rencontre culturelle du 16 mars 2016 à L'Idéal Cinéma Jacques-Tati d'Aniche. Photo : Serge Ottaviani.
A l'origine, le projet consistait à proposer à la population une séance d'initiation à l'histoire des arts et un échange entre le public et l'animateur. Les Rencontres culturelles bénéficiaient alors d'un écrin : L'Idéal Cinéma Jacques-Tati d'Aniche. Et c'est dans ce bel outil populaire que les thèmes et les intervenants allaient à la fois se diversifier et se multiplier amenant parfois jusqu'à 70 personnes. Les spectateurs confortablement assis face à des visuels projetés sur grand écran écoutaient et questionnaient le prestataire invité.
De tels rendez-vous portant sur la transmission de savoirs et de savoir-faire à destination d'un public hétérogène esquissaient l'idée plus largement éducative de mettre en œuvre progressivement une université populaire. Aussi, les Rencontres culturelles devinrent une section de l'ensemble associatif désigné par le sigle OMCA (Office municipal culturel anichois). Il ne restait plus qu'à diffuser efficacement auprès des habitants la programmation de ces Rencontres. Et le tour était joué... ou presque.
Si l'on a pu se délecter des interventions de certaines personnalités telles que celle de la vitrailliste Judith Debruyn ou du réalisateur Antoine Page et de celles de responsables locaux comme Françoise Legros, proviseure du lycée des métiers Pierre-Joseph-Laurent d'Aniche ou Jean Vilbas, conservateur chargé des collections patrimoniales de la bibliothèque Marceline-Desbordes-Valmore de Douai, force est de reconnaître que quelques thèmes ont été mal interprétés (les arts de l'Islam, par exemple,) ou contrôlés (l'analyse de l'oeuvre de Stanley Kubrick) par la municipalité.
La Rencontre culturelle du 4 mai 2016 consacrée à l'histoire du montage des orgues de l'église Saint-Martin d'Aniche et animée par la titulaire technique Martine Moroge fut la plus controversée. Impuissante à endiguer la diffusion des savoirs, la commune ne trouva guère d'autre solution que de condamner le jour même l'accès au cinéma. "Rien ne vous empêche de faire de la culture chez vous ou dans votre jardin : je ne m'y opposerai pas", justifiait alors le "Vizir de l'aculture" d'Aniche. En définitive, la prestation de Martine Moroge se fit chez elle, en toute simplicité, devant 25 personnes patientes.
Pourtant l'intention était saine car humaniste et sociale : offrir des conférences, des interactions au plus grand nombre tout en permettant le rapprochement entre les individus, le tissu associatif et les institutions dans le plus vieux cinéma ouvrier du monde situé dans une commune industriellement sinistrée de 10000 habitants ! Malheureusement, une action aussi ambitieuse n'a su emporter l'adhésion de la majorité élue. Déterminée à y mettre un terme, elle n'est parvenue, en raison d'une forte opposition (Le Rassemblement Citoyen présidé par Michel Meurdesoif), qu'à délocaliser ces rendez-vous culturels.
Rencontre culturelle du 5 octobre 2016 dans la salle Jules-Domisse de la mairie d'Aniche. Photo : Serge Ottaviani.
En septembre 2016, les Rencontres culturelles se poursuivent donc selon la décision du maire et de son adjoint relégué à la culture dans la salle Jules-Domisse de la mairie d'Aniche. Située à l'étage et dépourvue d'issue de sécurité, le lieu devient très vite problématique. Les personnes les plus âgées renoncent maintenant à gravir l'escalier pour assister aux rendez-vous hebdomadaires. De plus, les intervenants ne peuvent plus appuyer leurs propos sur des documents audio-visuels et certains sujets tels que l'analyse filmique sont proscrits en raison de l'absence de sonorisation. Il n'empêche que les invités accompagnés de leur propre ordinateur s'adaptent à cet espace de fortune.
En dépit de la décision des élus majoritaires de ne plus diffuser depuis octobre 2015 la programmation des Rencontres culturelles ni dans le bulletin municipal, ni sur le site web officiel de la ville, ni dans l'agenda culturel de la commune, ni dans le film retraçant annuellement les activités menées par les bénévoles à Aniche et projeté lors des voeux du maire à la population, les intéressés par ces rendez-vous s'informent des contenus à venir de bouche-à-oreille, via les réseaux sociaux et les quelques annonces écrites par les correspondants de presse locale (L'Observateur du Douaisis et La Voix du Nord). Mais la persévérance tend cependant au fil du temps à manquer de plus en plus de souffle devant le mur municipal, obstacle au développement de ces activités.
A l'issue de la prestation de Nathalie Merville, directrice d'école, sur les femmes dans l'Histoire ce mercredi 1er mars 2017 à laquelle ont assisté une trentaine de personnes, s'est tenue l'assemblée générale de l'OMCA durant laquelle ont résonné, non seulement la volonté municipale de ne pas voir s'étendre ces Rencontres culturelles mais aussi la faiblesse du président de l'association intimidé par le « surintendant de l'a-culture » à Aniche. L'on peut comprendre la difficulté de réagir face aux menaces et chantages qui pourraient exister sur le monde associatif quant au versement de subvention et l'utilisation d'espaces publics, mais le compromis, la mièvrerie et le clientélisme finalement adoptés silencieusement par le bureau administratif de l'OMCA demeurent des formes d'assouvissement que tout défenseur de "la culture pour tous" ne saurait tolérer, ni accepter.
L'association OMCA aurait pu et dû, comme elle le faisait du temps de son précédent président - Arnaud Laine -, conserver ce soir-là une indépendance vis-à-vis des injonctions et tergiversations d'un élu trop grassement indemnisé pour son inaction. L'ère est à l'insoumission, certes, mais, semble-t-il, pas pour tout le monde. C'est pourquoi les Rencontres culturelles, section associative n'ayant bénéficié, ni utilisé la moindre subvention ne sauraient être encore l'objet d'un conflit d'intérêt ou politique. L'annonce de la fin programmée de ces "rencards du mercredi soir" n'est donc qu'un soulagement et préfigure selon la nouvelle orientation de l'OMCA un renouveau culturel à Aniche au travers d'ambitions hypocrites à destination... d'au moins une famille !
Texte et photos (sauf mention contraire) : MG.
Du 4 février 2015 au 15 mars 2017 ont animé bénévolement les Rencontres culturelles : Michaël Grabarczyk, Serge Ottaviani et sa petite-fille Clara, Antoine Page, Philippe Hemez, Patrick Mutt, Judith Debruyn, Lucette Blary et Michel Masclet (association des 4A), Françoise Legros et Lucas Weiss, Yannick Hornez, Jean-Luc Tranchant, Camille Gallard et Sidonie Rocher, Michel Meurdesoif, Nathalie Merville, Martine Moroge, Bernard Coquelle et le mouvement Colibris, Rémy Fleury (et l'aimable participation de Didier Baliany), Guy Dargelly, Christophe Delille, Aurélien Gack, Jean Vilbas, Georges Barbier, Nathalie Pouille et Virginie Kuchcinski, Guy Dumez.
Les différents intervenants des Rencontres culturelles à Aniche de février 2015 à mars 2017.