Emilie Malaquin-Lapawa, Le Sorcier vaudou

"Une étoile me transporte vers la lumière

Mais mon ascension me paraît étrange,

Elle semble prendre un chemin contraire

Et lorsque j'ouvre les yeux, je vois ceux d'un ange

Dans lesquels brûlent les flammes de l'enfer."

Emilie Malaquin-Lapawa, "Une Rencontre" in Le Sorcier vaudou, p. 85.

Connue dans le Somainois pour avoir aidé Marie-Thérèse Glowacki à rédiger son récit témoignage, A ma mère (2016), Emilie Malaquin-Lapawa, écrivaine publique, revient, le soir d'Halloween 2017 chez Abysses Editions, pour présenter son premier recueil de nouvelles : Le Sorcier Vaudou.

Le titre de l'ouvrage renseigne d'emblée le lecteur sur le registre littéraire qui réunit les cinq courtes histoires ayant suscité l'imaginaire de la jeune auteure. Le Sorcier vaudou, Emma, Une rencontre, Le Tourne disque de mamie et Les Portes de l'Enfer appartiennent évidemment au fantastique en ce sens aristotélicien que ces nouvelles mettent en scène des images qui ne renvoient à rien de véritable. Du moins, on l'espère.

Permettez que je m'amuse ici autant qu'Emilie joue avec les codes vestimentaires du rasta-vaudou ou du hard-rocker gothique Gianni dans Une Rencontre, avec le ridicule des pseudos d'internautes (« Dracula56 ») dans Emma, avec les dialogues mais surtout avec la notion de fantastique. S'appuyant tant sur le conte de revenants que sur les légendes populaires dans lesquelles des personnages sont dotés de pouvoirs surnaturels et maléfiques, l'auteure offre au lecteur le plaisir paradoxal de se plonger dans des récits qui le feront frissonner de peur.

Par définition, chacune de ces histoires fantastiques s'inscrit dans un cadre réaliste où les lois de la nature et de la société sont identiques à celles du lecteur avant que ne surgisse un événement qui bouscule le bon sens et les principes de la rationalité plaçant les personnages en présence de l'inexplicable : des morts revenant à la vie, un tourne disque remontant le temps, etc. Quoique... le doute est permis.

Dans son Introduction à la littérature fantastique (1970), Tzvetan Todorov précisait que « Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s'expliquer par des lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l'événement doit opter pour l'une des deux solutions possibles : ou bien il s'agit d'une illusion des sens, d'un produit de l'imagination, et les lois du monde restent alors ce qu'elles sont ; ou bien l'événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. »

Rassurons-nous quelque peu : les nouvelles d'Emilie Malaquin-Lapawa semblent se soustraire à l'alternative proposée par Todorov. Le surnaturel qui surgit dans ses histoires pourrait se lire comme la formulation tant métaphorique que surprenante d'une réalité agitée perturbant l'équilibre intellectuel du personnage confronté à l'impensable. En effet, la dimension fantastique chez Emilie, interroge comme dans l'oeuvre d'Hoffmann, sur la santé mentale des protagonistes. Les choses effrayantes vécues et relatées, à l'exception de celles qui se produisent dans Les Portes de l'Enfer, ne germent-elles pas, avant leurs manifestations, dans l'esprit de celui qui subit l'illusion ?

Meurtre, alcoolisme, sentiment de culpabilité, accident... font remonter à la surface le pire que la raison ne parvient à entendre. Cette irruption du surnaturel dans le naturel, cette émergence de l'extraordinaire dans la vie ordinaire résonne dans chacune des narrations comme "un rire de femme, peut-être même un ricanement de sorcière. Mais le plus horrible que [l'on n'ait] jamais entendu. Un peu comme celui qui retentit dans certains films ou celui des sorcières de notre enfance, dont la simple évocation nous empêchait de dormir." (p. 150)

Aussi, Emilie travaille cette écriture fantastique qui soulève la question de la fragilité de la conscience des individus traversant une période sombre et douloureuse comme celle qu'engendre le deuil ou le crime, même si ce dernier ne fut pas intentionnel. Et ces fantômes, ces perturbations spatio-temporelles plus ou moins liés à la folie traumatisante du narrateur ou du personnage parviennent à bouleverser toute pensée normative, structurée et structurante du lecteur. En définitive, l'auteure signe ici un ensemble de nouvelles fantastiques si intrigantes qu'elles nous conduisent à nous interroger sur nous-mêmes et sur le monde qui nous entoure. Et c'est certainement en cela que le recueil d'Emilie Malaquin-Lapawa nous effraie le plus.

Texte et photos : MG - 9 novembre 2017.

Le 16 janvier 2018, Emilie Malaquin-Lapawa explique, via Facebook, comment les nouvelles de son recueil Le Sorcier vaudou sont sorties de l'ombre :

"Tout a commencé en 2010-2011. Alors que j'étais salariée dans un établissement de crédits, je me suis retrouvée en arrêt maladie pendant 8 mois. Ne pouvant pas faire grand-chose, l'ennui s'est vite installé. A cette époque, nous étions abonnés à Canalsat, et j'avais donc accès à certaines chaînes qui diffusaient des émissions sur le paranormal. J'ai trouvé le sujet assez divertissant, et je me suis intéressée à ce domaine. J'étais déjà fan du genre fantastique, et c'est là que l'idée d'écrire un recueil de nouvelles m'est venue.