Théodore Banaszak, photographe anichois issu de l'immigration polonaise (deuxième partie)
Malgré la crise économique, les grèves, la pénibilité du métier de mineur, l'ascension sociale des fils et filles issus de l'immigration polonaise reste limitée à la fin des années 1930 : le garçon descend à son tour dans les entrailles de la terre pour extirper le charbon et la fille trouve parfois un emploi à proximité du domicile familial dans une usine textile ou chez un particulier en tant que bonne à tout faire. Rares sont ceux qui osent s'aventurer dans le commerce. En devenant apprenti-photographe, Théodore Banaszak s'avère une exception à cette continuité professionnelle bigénérationnelle. Nous reviendrons sur l'originalité de cette orientation.
Théodore est maintenant un jeune homme élégant soucieux de plaire. Non loin de chez lui, il fait la connaissance de Valérie Wlodarczak (23.04.1926 – 17.01.2012) de quatre ans sa cadette. Etablis à Ostricourt, les parents de Valérie occupent une maison au 162 cité du Bois Dion. Le père, Wojciech Wlodarczak, est né le 16 avril 1893 à Śmiegel, ville de l'actuelle Voïvodie de Grande-Pologne et du powiat de Kościan. Les Français l'appelleront Albert. La mère, Anna Marciniak, est née le 3 juin 1900 à Recklinghausen, actuelle ville allemande de la région de la Ruhr en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Mariés à Śmiegel depuis 1920, ils travaillent à Ostricourt respectivement comme mineur et ménagère.
Photo 1 : Boniface Marciniak et Rosalie Hélène née Helinska, parents d'Anna Marciniak, grands-parents maternels de Valérie Wlodarczak, épouse de Théodore Banaszak. Date non connue. Doc. 2 : "DÉCLARATION. Je déclare par la présente et aujourd'hui, ce testament fait par moi, le pétitionnaire Boniface Marciniak du district de Koszanow Smigiel, enregistré sous le numéro de reg. 215.", 3 juin 1930.
Doc. 1 : extrait de l'acte de naissance de Wojcieck Wlodarczak. Doc. 2 : extrait d'acte de naissance d'Anna Marciniak.
Wojciech Wlodarczak a probablement signé un contrat de travail avec la Compagnie des mines d'Ostricourt en 1924. Au terme de celui-ci, après être descendu durant une année dans les veines souterraines de la fosse 5 dite Henri Buchet située à Libercourt, il profite des congés qui lui sont octroyés pour se rendre dans sa ville natale en Pologne. On sait qu'il retournera voir sa famille en 1929, date à laquelle il bénéficie d'un congé de 40 jours. A son retour, Anna et lui s'établiront définitivement à Ostricourt.
Doc. 1 : permission de retourner en Pologne accordée le 3 septembre 1925 au mineur Wojciech Wlodarczak. Doc. 2 : certificat de congés accordés le 10 septembre 1929 à Wojciech Wlodarczak. Doc. 3 : lettre de rappel du travailleur étranger Wojciech Wlodarczak délivrée le 10 septembre 1929. Doc. 4 : extrait du registre d'immatriculation d'Anna Marciniak, épouse de Wojciech Wlodarczak, pour exercer l'activité de ménagère à Ostricourt dès le 30 décembre 1929.
Les premiers signes de l'intégration polonaise apparaissent avec le Front Populaire : une partie conséquente de la communauté immigrée s'engage syndicalement (CGTU puis CGT) et politiquement (Parti communiste). Mais, c'est surtout au travers de la grève des mineurs de mai-juin 1941 et de l'engagement des Polonais dans la Résistance que le processus d'assimilation commence véritablement. Cependant, les Polonais restent encore très attachés à leurs origines.
Les transferts d'économies vers les familles restées en Pologne, les factures et autres quittances de notaire traduisent dès la fin des années 1930, l'amélioration matérielle des conditions de vie des mineurs polonais et la prise de conscience d'un non-retour au pays. Chez les Banaszak comme chez les Wlodarczak, on achète souvent à crédit ce qui fait défaut à la maison (machine à coudre, mobilier, vélo pour enfant...) d'autant plus que les familles s'agrandissent et on continue d'envoyer de l'argent en Pologne. Malheureusement, le bonheur ne dure qu'un temps. La guerre puis la silicose, maladie pulmonaire du mineur, noircissent de nouveau ces existences commencées si difficilement en Pologne et en Allemagne.
Doc. 1 : procès-verbal de la commission paritaire reconnaissant la maladie professionnelle de Wojciech Wlodarczak à la fin des années 1940. Docs. 2 et 3 : acte de concession à perpétuité pour la sépulture familiale à Anna, veuve Wlodarczak, mai 1954.
Revenons à Théodore Banaszak. Dès le mois d'octobre 1936, il devient apprenti dans le studio du photographe Jean Kmieciak situé dans la cité de la Chapelle à Oignies. Donnant satisfaction, il est embauché comme ouvrier-photographe dès le 1er novembre 1939. Mais, l'administration militaire allemande le contraint à se présenter à Lille le 10 décembre 1943 pour travailler sur un chantier de construction. A la fin des hostilités, il se mariera avec Valérie Wlodarczak et occupera de nouveau son poste chez Kmieciak avant que ce dernier ne l'emploie dans sa succursale à Aniche à la fin des années 1940. A cette époque, Théodore habite toujours Ostricourt et reste de nationalité polonaise.
Son mariage avec Valérie témoigne de l'endogamie maintenue par les immigrés polonais. Rares sont ceux qui, dans la communauté polonaise, s'unissent avec un ou une Française. De plus, peu de Polonais recourent à la loi du 10 août 1927 qui réduit de dix à trois ans la durée de résidence à l'issue de laquelle un immigré peut demander la naturalisation. Par la suite, Théodore aspirera à être considéré comme Français à part entière et obtiendra la nationalité française, démarche administrative d'intégration sociale.
Texte : MG - 18 novembre 2017.
Doc. 1 : certificat d'apprentissage datant du 11 décembre 1946. Doc. 2 : certificat d'embauche datant du 4 août 1949. Doc. 3 : carte professionnelle de Jean Kmieciak datant de la fin des années 1940.