Selon l’artiste Yome, les légendes naissent des torrents et des forêts

« Le végétal a sa peau, et c’est son écorce, il a sa tête et sa chevelure, ce sont ses racines, il a la physionomie et ses sens, il a sa sensibilité aussi, de telle sorte que si on le blesse, il meurt. Son feuillage, ses fleurs et ses fruits sont ses ornements comme dans l’homme l’ouïe, le visage, et l’art de la parole. »

Paracelse (1493-1541), De elemento Terrae.

En cette ère glyphosatée et de l’herbe rase, il paraît difficile d’appréhender la terre comme un organisme vivant, fertilisée par une semence mystérieuse vouée à engendrer. Nous percevons encore les rares arbres et animaux qui se dressent à l’horizon, mais nous n’envisageons jamais la nature faire croître des pierres comme des dents et des végétaux tels des cheveux. Au gré de ses balades en forêt et aux abords de rivières, Guillaume Leclerq alias Yome, artiste alchimiste, observe les éléments du paysage et s’interroge sur leur possible transmutation. Son œuvre s’appuyant sur les changements perpétuels de la physis révèle un monde nouveau, naturel et fantasmagorique.

Formé au lycée des métiers d’arts de Saint-Quentin pour sculpter le bois, Guillaume a enchaîné les stages pour tailler la pierre avant de parfaire sa démarche artistique en autodidacte. Très vite, il expérimente, questionne et crée en assemblant divers matériaux à recycler, plastique compris. L’univers de Yome prend alors forme au travers de grands formats (entre 1,40 et 2 mètres de haut) qui invitent le regardeur à faire l’effort de la distance pour échapper au mode conventionnel de la lecture et de l’interprétation. Car, il y a dans l’oeuvre de Yome, une liberté de concevoir, un déchaînement d’ingéniosité et une ouverture d’esprit extraordinaire qui n’est pas sans rappeler les techniques et les cultures de ceux qu’on ose encore qualifier de « primitifs ».

Depuis cinq ans, Yome est revenu au travail du bois. Sec ou flotté, le matériau se réincarne sous les traits d’un champignon, d’une chèvre, d’un écureuil, d’un chat, d’un héron ou d’un serpent. Yome donne forme et fait chanter le moindre nœud du matériau employé. A nous d’entendre et de nous accommoder à ces voix et à cette voie empruntée par le créateur en puissance, qui nous écartent de l’art homologué. Point de folie dans ce discernement et cette responsabilité à vouloir s’engager physiquement dans la récupération culturelle d’éléments naturels. Si l’oeuvre résultante paraît stupéfiante, elle ne peut être blâmable qu’aux yeux de ceux qui s’enferrent dans l’idée que tout est déjà condamné.

Respectueux de la nature comme les Celtes l’étaient, féru d’histoire et passionné par l’univers de Tolkien, Yome s’évade du carcan de la société post-industrielle, dont les normes déshumanisent et entravent les libertés. Les promenades dans les bois lui ouvrent de nouvelles portes de perception qui mènent à la dimension fantastique dans laquelle les animaux parlent et les lutins agissent. C’est depuis ce dimanche d’automne ensoleillé, en forêt, qu’il découvre le « monde du petit peuple » et les légendes qui l’entourent.

Parmi ce petit peuple fait de branches et de mousses, le hérasson, confondu à tort avec le rat des champs, est ce « lutin vivant dans les vieilles granges à foin » et surveillant les animaux de la ferme. Mais, raconte Yome, « s’il arrive qu’un fermier vienne le chasser de sa grange, alors le malheur s’abat sur lui et ses proches. » La Nature ne se plie pas docilement : elle peut aussi se défendre et se venger de la malveillance et de la cruauté des hommes. Il arrive même que de petits êtres, tels les Bleugueules – Gobelins au visage tatoué de runes bleues et vivant à proximité des torrents et des cascades – s’amusent à effrayer les humains trop envahissant.

En associant minéraux et végétaux pour donner naissance à des fées, des lutins et à un bestiaire fantastique, Yome  montre une nature infinie qu’aucune science ne pourrait inventorier et une mythologie inédite, qui ne tardera pas à devenir populaire. En reliant l'observation du vivant abandonné, desséché et « abîmé » par le temps à l'émergence d’un petit peuple, l’esprit qui-voit-et-ressent-tout et la pratique créative de Yome offrent un fascinant voyage au travers de (re)présentations d’une nature métamorphosée et d’une (re)lecture de l’histoire de l’(in)humanité.

MG – 21 août 2021.

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