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Et Bourlon créa Kopierre : retour sur la genèse du géant d’Aniche

Publié le par MG

Jean-Baptiste Bourlon devant le géant Kopierre défilant dans les rues d'Aniche le 9 juillet 1911.

Jean-Baptiste Bourlon devant le géant Kopierre défilant dans les rues d'Aniche le 9 juillet 1911.

Y a géant et géant, dins l’Nord !

No trouvons les Incas d’Valenciennes d’abord ;

puis, les géants d’Dunkerque, Anzin, Douai.

L’ville d’Aniche, elle, a n’dara in vrai !

Batisse Bourlon, No Géant in Le Républicain d’Aniche & environs, 11 juin 1911.

 

Ouvrier à la verrerie Saint-Martin puis souffleur de verre à la gobeleterie Caton d’Aniche (59580) et syndicaliste CGT du Nord, l’Auberchicourtois d'origine Jean-Baptiste Bourlon (1859-1919) reste dans les mémoires des Anichois comme l’initiateur des festivités de Kopierre. Souhaitant rendre hommage à l’un de ses concitoyens, camarade et probable cousin Alexandre Joseph Consil (1834-1909), qui s’était illustré militairement sous le règne de Napoléon III, il crée en 1911 le géant emblématique de la ville d’Aniche. Aujourd’hui encore, l’on s’interroge sur les réelles motivations ayant conduit à l’érection de cette gigantesque mascotte communale affublée d’un costume de tambour-major et répondant au sobriquet de Consil : Kopierre ! Si les pistes alchimistes ne sont pas à négliger, la vérité pourrait provenir également d’un phénomène de foire, qui a défrayé la chronique internationale au début du XXe siècle.

Batisse Bourlon lors d'un repas familial à son domicile sis 119 boulevard National à Aniche, 1919.

Batisse Bourlon lors d'un repas familial à son domicile sis 119 boulevard National à Aniche, 1919.

Suite à son mariage le 26 janvier 1885 avec la bouchère Siona Jacqmart (1861-1924), Jean-Baptiste Bourlon s’installe à Aniche au 119 boulevard National (actuel boulevard Vaillant-Couturier). Souffleur de verre, il s’investit très vite dans la vie politique de sa commune d’accueil en devenant conseiller municipal de 1889 à 1900. C’est à cette époque qu’il côtoie son aîné Alexandre Consil occupant lui aussi la même fonction dans le village voisin de 1896 à 1904. De ce rapprochement naît une indéfectible amitié.

C’est la Belle Epoque. Les verreries prospèrent, les villes se modernisent et la culture républicaine s’enracine dans des fêtes, des rites et des symboles. Bourlon, que l’on surnomme Batisse, est de tous les banquets, de tous les événements festifs qu’organisent les bourgeois et les associations de la cité verrière. Amuseur facétieux, diseur malicieux, il monopolise la parole et se distingue par ses accoutrements excentriques lorsqu’il est en public. Notable respecté et apprécié, il est de toutes les parties et s’intéresse à tout, tant dans sa commune que dans le reste du monde.

Jean-Baptiste Bourlon lors de son service militaire dans le 25e Régiment des chasseurs à pieds vers 1880.

Jean-Baptiste Bourlon lors de son service militaire dans le 25e Régiment des chasseurs à pieds vers 1880.

Cette soif de connaissances remonte au temps où il effectue, du 13 novembre 1880 au 11 août 1884, son service militaire par tirage au sort dans le 25e régiment de chasseurs à pied. L’ouvrier verrier, qu’il était avant d’entrer en garnison à Toulouse, prend alors goût à la lecture et, plus encore, à l’écriture. Plus tard, il publiera grâce à son ami, le journaliste et imprimeur Henri Malengé (1859-1936), plus d’une centaine de poèmes patoisants dans le quotidien Le Républicain d’Aniche et environs, édité entre le 11 mars 1906 et le 2 août 1914. Mais avant la diffusion dans ce journal local de son premier poème intitulé L’Vieux soldat le 22 avril 1906, Batisse s’attache à tout et s’engage dans la vie associative, politique et syndicale.

Jean-Baptiste Bourlon, souffleur de verre à Aniche. Cartes postales datant de 1900 environ
Jean-Baptiste Bourlon, souffleur de verre à Aniche. Cartes postales datant de 1900 environ
Jean-Baptiste Bourlon, souffleur de verre à Aniche. Cartes postales datant de 1900 environ

Jean-Baptiste Bourlon, souffleur de verre à Aniche. Cartes postales datant de 1900 environ

Détenteur de la médaille des braves sauveteurs pour ses actes de dévouement, il est lieutenant dans le corps des sapeurs-pompiers d’Aniche créé en 1848 et devient vice-président de l’Association des ouvriers verriers d’Aniche en juin 1899. Le souffleur de verre gagne bien sa vie et investit son argent au travers d’actions dans diverses sociétés comme celle du journal radical, anti-boulangiste et progressiste Le Réveil du Nord, dont le siège se situe à Lille. Notable éclairé, élu conseiller municipal et membre co-fondateur de la CGT des verriers, il participe à l’acquisition du terrain qui permettra la construction de la Maison du Peuple, siège national du syndicat et futur Idéal Cinéma. Avec l’aide d’intellectuels et de gens fortunés, Jean-Baptiste Bourlon fréquente les élites et pénètre le cercle des anarchistes et des alchimistes.

Action de la société lilloise "Le Réveil du Nord" libérée au profit de Jean-Baptiste Bourlon le 19 mai 1891.

Action de la société lilloise "Le Réveil du Nord" libérée au profit de Jean-Baptiste Bourlon le 19 mai 1891.

« Chez les alchimistes », écrit Roger Facon dans La fantastique aventure de l’Idéal Cinéma (Abysses Editions, 2015), « il faut d’abord réaliser l’oeuvre au blanc avant d’espérer réaliser l’oeuvre au rouge (obtention de la Pierre philosophale) ». C’est en suivant ce procédé que Batisse va élever ex nihilo le Golem si cher aux Anichois ; c’est d’après cette recette que le poète verrier va inscrire dès 1906 sur le blanc du journal Le Républicain tous les ingrédients qui nourriront la légende du géant Kopierre.

Souhaitant revisiter la matière des géants du Septentrion (Gayant, par exemple), il édifie le légendaire Kopierre en combinant le mythe du forgeron, que fut réellement Alexandre Joseph Consil avant d’être tambour-major, serviteur de Vulcain (chaud/Ko en chti et Pierre/philosophale) et le mythe de l’alchimiste du verre travaillant près du four. Batisse se révèle aux yeux de ses contemporains, un homme certes inscrit dans son époque, mais surtout un lettré grand amateur de symbolisme.

Article de presse datant de 1904 évoquant le plus grand soldat de France.

Article de presse datant de 1904 évoquant le plus grand soldat de France.

La rancoeur de la défaite de 1871 face à la Prusse est très prégnante chez les Français jusqu’en 1914. Le fait que Consil ait mené campagne contre l’Allemagne donne une raison de glorifier l’engagement militaire de cet Auberchicourtois mort dans l’anonymat à Aniche en 1909. A travers lui qui, prisonnier de grande taille a impressionné le roi de Prusse Guillaume 1er (1797-1888), c’est l’esprit revanchard qu’on entretient. Mais, la parution d’abord dans une presse locale du sud-ouest du pays, puis nationale et enfin internationale d’un fait divers survenu dans le sud de l’Aveyron en 1904, qui va attirer l’attention de Batisse Bourlon.

En effet, c’est à suite de la tenue d’un conseil de révision le 27 avril 1904 relatif à la taille d’un jeune conscrit né le 30 janvier 1883 à Prohencoux (12370) que les journaux s’emparent de l’affaire : du haut de ses 2,12 mètres, un certain Henri Joseph Cot est reconnu comme le plus grand soldat de France ! Ce fils d’agriculteurs, qui avale, lit-on dans le Sun le 24 juillet 1906, « une douzaine d'oeufs pour le petit déjeuner et huit livres de viande et six livres de pain pour le déjeuner », va très vite connaître une vie médiatisée. 2,28 mètres, 2,39 mètres, 2,61 mètres, on ne cesse de grandir ce jeune acteur qui voyage en France, en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Afrique du Nord et aux Etats-Unis. Devenu Joseph Dusorc le Géant béarnais, il apparaît sur de nombreuses cartes postales, barbu et en uniforme de tambour-major !

Henri Joseph Cot alias Joseph Dusorc le Géant béarnais photographié et représenté sur des cartes postales en France, en Allemagne et aux Etats-Unis vers 1910.
Henri Joseph Cot alias Joseph Dusorc le Géant béarnais photographié et représenté sur des cartes postales en France, en Allemagne et aux Etats-Unis vers 1910.Henri Joseph Cot alias Joseph Dusorc le Géant béarnais photographié et représenté sur des cartes postales en France, en Allemagne et aux Etats-Unis vers 1910.
Henri Joseph Cot alias Joseph Dusorc le Géant béarnais photographié et représenté sur des cartes postales en France, en Allemagne et aux Etats-Unis vers 1910.Henri Joseph Cot alias Joseph Dusorc le Géant béarnais photographié et représenté sur des cartes postales en France, en Allemagne et aux Etats-Unis vers 1910.
Henri Joseph Cot alias Joseph Dusorc le Géant béarnais photographié et représenté sur des cartes postales en France, en Allemagne et aux Etats-Unis vers 1910.Henri Joseph Cot alias Joseph Dusorc le Géant béarnais photographié et représenté sur des cartes postales en France, en Allemagne et aux Etats-Unis vers 1910.

Henri Joseph Cot alias Joseph Dusorc le Géant béarnais photographié et représenté sur des cartes postales en France, en Allemagne et aux Etats-Unis vers 1910.

Avec le soutien de l’imprimeur Malengé, Jean-Baptiste Bourlon va progressivement et poétiquement développer dans la presse locale la plus célèbre légende urbaine du Douaisis. S’appuyant sur des fêtes traditionnelles populaires hautes en couleur et masquées des Flandres, Batisse prend également part, dès le 16 juin 1907, au Carnaval d’Eté qui anime les rues d’Aniche. Ce jour-là, entre les joyeux Troubadours de Marchiennes et le char Aumônière, oeuvre du syndicat des entrepreneurs recueillant des offrandes destinées aux pauvres, il est le docteur-chirurgien-dentiste Bourlonski, qui débite à chaque carrefour des boniments comiques et guérit gens tristes et autres neurasthéniques.

Carte de Bourlonski imprimé par Henri Malengé pour le Carnaval d'Eté 1907.

Carte de Bourlonski imprimé par Henri Malengé pour le Carnaval d'Eté 1907.

Dans son poème intitulé Le Festival d’Aniche – Fantaisie en bouts rimés (1911), on note l’admiration que porte Batisse au tambour-major de la fanfare des sapeurs-pompiers de Neuville-sur-Escaut quand il a manié sa canne lors du défilé du dimanche 30 avril 1911 : « Et l’tambour-major d’Neuville y s’a bin amusé, / in aro dit les bras d’un meulin imballé. / Même l’coq d’no clocher y a minqué d’sinvoler / tell’mint y a eu peur en r’reytiant ses moulinets. » Ce jour-là, l’absence de l'harmonie municipale et de la fanfare des sapeurs-pompiers de Douai a profondément agacé le poète qui décide de réagir au plus vite.

Elu président du Comité Kopierre qu’il fonde le 21 mai 1911, Bourlon organise alors la première des trois fêtes de Kopierre d’avant la Grande Guerre. Avec l’aide de ses camarades commissaires Emile Roussel-Fogt (vice-président), Henri Malengé (secrétaire), Auguste Dufour (trésorier), Edouard Bastin, Henri Charlon, Victor Cambier, Paul Collard, Adolphe Deffontaine, Léon Lehuraux, Emile Morchipont, Maurice Gerbelot, Désiré Dislaire, Henri Rosmond, Emile Delsaux et Cyrille Desort, il lance une souscription publique afin de financer la réalisation du géant et de fixer au 9 juillet de la même année – jour de Gayant - les premières festivités de Kopierre.

Les principaux membres du bureau du Comité de Kopierre de 1911.

Les principaux membres du bureau du Comité de Kopierre de 1911.

Au travers de cet événement, Batisse souhaite aussi rendre hommage aux verriers qu’il a fréquentés et qui font vivre la cité d’Aniche. La ducasse qu’il prépare annonce les futures fêtes de la Saint-Laurent. Et puis, il y a cette guerre de clochers entre Douai et Aniche déclarée le 29 mai 1910 : lors du grand festival réunissant à Auberchicourt sociétés de musique et sapeurs-pompiers, l’Harmonie municipale de Douai classée en division supérieure refuse de se déplacer malgré les nombreuses invitations envoyées. Cette absence répétée l’année suivante devient l’élément moteur à la préparation d’une fête anichoise avec géant capable de concurrencer Gayant.

L’esprit revanchard suite à la défaite de Sedan, l’influence des alchimistes, l’importance de l’actualité du grand Henri Cot alias Joseph Dusorc se mêlant aux traditions folkloriques du Nord vont amener un certain Victor Hugo, peintre local, à concevoir l’affiche de la marche-cortège du géant Kopierre et Gaétan Mattez (1877-1931), artiste lui aussi, à mettre en volume et en couleur la tête d’une mascotte à ventre d’osier et haute de 6,10 mètres, qui sera portée par quatre hommes le jour du défilé.

Affiche et programme de la première fête de Kopierre en 1911.
Affiche et programme de la première fête de Kopierre en 1911.Affiche et programme de la première fête de Kopierre en 1911.

Affiche et programme de la première fête de Kopierre en 1911.

Si le personnage représenté sur l’affiche annonciatrice de l’évènement et la tête en papier mâché du nouveau géant d’Aniche1 ne se ressemblent pas, le shako, la tenue vestimentaire, le sabre et le bâton de tambour-major concordent pour célébrer la mémoire du grand Alexandre Consil, qui fit carrière dans les armées de Napoléon III. Le dimanche 9 juillet 1911 à 13h, les Sociétés invitées à participer à la grande fête populaire et patoisante se rassemblent devant la Grande Cheminée de la Verrerie d’En-Haut avant de descendre le boulevard Drion devant et derrière le géant Kopierre sur le rythme d’une musique arrangée par Jules Dangreau, directeur de l’Harmonie municipale sur l’air... des Pompiers de Nanterre.

1. Tout récemment, Didier De Cooman, fils de René De Cooman concepteur de la tête du géant Kopierre de 1954 a rappelé que, je cite "c'est mon arrière grand père Gaëtan Mathez qui a confectionné et peint celle de 1911 avec son ami Bourlon et autres de ses copains. Il était loin d'imaginer que le gendre de sa fille, qu'il n'a pas connu, prendrait la suite en 1954, soit 43 ans après !"

Texte : MG - 5 juillet 2021 avec l'aide de nombreux documents visuels provenant de la Société d'Histoire d'Aniche.

 

Première fête de Kopierre à Aniche, le 9 juillet 1911.
Première fête de Kopierre à Aniche, le 9 juillet 1911.Première fête de Kopierre à Aniche, le 9 juillet 1911.

Première fête de Kopierre à Aniche, le 9 juillet 1911.

Et Bourlon créa Kopierre : retour sur la genèse du géant d’Aniche
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