Hélesmes : L’éducation de la Vierge Marie par Sainte Anne
"L'éducation de la Vierge Marie par Sainte Anne", début XXe siècle, plâtre, ht 130 cm ca, détail, église Saint-Léger, Hélesmes - Photo : 21 avril 2021.
Le 25 mars 2021, Jacquelines Gravelines conseillère municipale et coordinatrice du Relais d’Hélesmes, Thérèse Prévot chargée des funérailles et Roselyne Merly passionnée d’histoire locale découvrent dans un placard situé derrière le maître-autel de l’église Saint-Léger (fin XVIIIe siècle) d’Hélesmes (59171) un groupe sculptural couvert de poussière. Alerté, le correspondant de presse de L’Observateur du Douaisis Serge Ottaviani saisit un cliché, qui laisse deviner deux figures : une femme (Marie ?) et un enfant (Jésus ?).
L'église Saint-Léger d'Hélesmes (XVIIIe siècle) - Photos : 21 avril 2021.
Pour en avoir le coeur net, Serge Ottaviani me propose d’aller voir de plus près l’objet trouvé. Accueilli dans le presbytère par l’équipe liturgique découvreuse du « trésor » et par le père Matthieu De Jenlis, j’inspecte sous tous ses aspects le groupe sculpté légèrement dépoussiéré. Sans hésiter, j’annonce la couleur : il s’agit là d’une représentation de Sainte Anne éduquant Marie enfant. Cet épisode de la vie de la Vierge est surprenant car il n’est mentionné dans aucun texte sacré.
Si les Evangiles canoniques ne nous apprennent rien sur l’enfance de Marie, ceux apocryphes mentionnent Anne. Le Protévangile de Jacques datant de la seconde moitié du IIe siècle évoque même l’Immaculée Conception de Marie, circonstance qui sera repris au XIIIe siècle par l’archevêque de Gênes, Jacques de Voragine. Ne pouvant avoir d’enfant, Anne et Joachim s’éloignent l’un de l’autre. Se lamentant sur leur sort et priant Dieu, un ange apparaît d’abord à Anne pour lui promettre une descendance, qui fera l’admiration de toutes les nations, puis à Joachim pour lui annoncer que son épouse va enfanter. Tous deux se retrouvent devant l’entrée de Jérusalem et s’embrassent à la Porte dorée donnant ainsi naissance à une fille, Marie.
Accueil et présentation de la sculpture de plâtre dans le presbytère Saint-Léger d'Hélesmes - Photo : 21 avril 2021.
Afin de respecter son vœu prononcé à Dieu de lui consacrer son enfant, Anne confie sa progéniture, alors âgée de trois ans, au Temple. Si aucune source écrite ne précise qu’Anne a enseigné à sa fille, la sculpture en plâtre retrouvée à Hélesmes montre pourtant Anne donnant une leçon de lecture à la petite Marie. Ce thème de l’éducation de la Vierge est apparu au Moyen Age avant de se répandre, suite au Concile de Trente (1545-1563), en Europe du Nord. Représentée, soit assise sur le trône selon la tradition juive, soit debout, Anne tient l’Evangile de Saint Jean dans une main. A partir du XVIIIe siècle, l’iconographie change et le livre aussi : c’est à partir d’un abécédaire que Marie apprend la langue de l’Église.
Expertise de la sculpture de plâtre représentant Sainte Anne éduquant la Vierge Marie dans le presbytère Saint-Léger d'Hélesme - Photo : Serge Ottaviani, 21 avril 2021.
Couverte d’un long manteau bleu précieusement orné de motifs dorés, la Sainte Anne conservée à Hélesmes désigne de la main gauche l’ouvrage qu’elle tient de la main droite. Un examen plus attentif nous apprend que le texte rendu volontairement illisible se compose de huit paragraphes commençant chacun par une lettrine rouge différente. L’index d’Anne est posé sur la lettre « M ».
La page de gauche du livre contient les lettres « V D L H ». Les deux premières renvoient-elles au Verbum Dei (Parole Divine) ? Dans ce cas, comme l’affirme Saint Jean, en se faisant chair le Verbe de Dieu désigne Jésus né de la Vierge Marie. Aussi, les fidèles contemplant la sculpture sont-ils invités à se rapprocher des Saintes Ecritures et à reconnaître en elles la Parole de Dieu (le Livre) qui s’incarne (le Fils éternel du Père fait homme). De la pratique de la Lectio divina (Lecture Divine) de la Bible, on passe alors à la Lectio Humana (« L H »).
"L'éducation de la Vierge Marie par Sainte Anne", début XXe siècle, plâtre, ht 130 cm ca, détails, église Saint-Léger, Hélesmes - Photos : 21 avril 2021.
La page de droite étage les lettrines « L M N P ». A l’exception du O manquant, l’ordre de ces quatre lettres évoque un abécédaire. En apprenant le latin, langue pratiquée dans l’Église, Marie pourra lire l’Ancien Testament, préfiguration du Nouveau où le fils qu’elle enfantera occupe la place centrale. Attentive à la leçon, vêtue de linges blancs sur lesquels se dessinent comme sur le manteau de sa mère des lys dorés, symboles de leur virginité, la jeune fille ici sculptée croise et replie ses mains sur la poitrine nous rappelant que c’est dans le sein de la Vierge que Dieu fera germer son Fils.
"L'éducation de la Vierge Marie par Sainte Anne", début XXe siècle, plâtre, ht 130 cm ca, détail, église Saint-Léger, Hélesmes - Photo : 21 avril 2021.
Le sujet ici moulé dans le plâtre met surtout en avant le rôle de Sainte Anne. L’institutrice, devenue patronne des maîtres d’école, ne laisse entrevoir que ses mains occupées par le livre et son visage, dont les traits marquent un âge mûr. Elle n’est plus une jeune femme ; Marie n’est plus un bébé. Les nuances de couleur traduisent avec justesse la carnation. De son visage se dégage une sérénité, qui inspire la confiance et la foi en son enseignement.
"L'éducation de la Vierge Marie par Sainte Anne", début XXe siècle, plâtre, ht 130 cm ca, détail de la marque situé à l'arrière sur le socle, église Saint-Léger, Hélesmes - Photo : 21 avril 2021.
Sur le socle de cet ensemble sculptural haut d'environ 1,30 m, une marque carrée en creux témoigne de sa provenance. Les inscriptions à peine déchiffrables placées au-dessus et en dessous du dessin d’un sacré coeur surmonté d’une couronne renvoient indubitablement à la Maison Raffl, entreprise de négoce de statues religieuses installée dès 1870 au 64 rue Bonaparte à Paris. Spécialisée dans la fabrication sérielle par le procédé de moulage en plâtre, elle répond à la fois à la recharge sacrale et au renouvellement de la dévotion populaire dans la seconde moitié du XIXe siècle. La mention supplémentaire des célèbres fabricants Delin Frères nous permet de dater l’objet entre 1903 et 1911.
Les découvreuses du "trésor" de l'église Saint-Léger d'Hélesmes et le père Matthieu De Jenlis autour de la sculpture représentant Sainte Anne déduquant la Vierge Marie enfant - Photos : Serge Ottaviani, 21 avril 2021.
Outre la mode du style sulpicien, qui déferle après les nombreuses apparitions mariales à La Salette, Pontmain ou Lourdes, la présence de ce plâtre moulé polychrome et rehaussé de poudre d’or dans l’église Saint-Léger pourrait s’expliquer en raison de la proximité de la fosse Arenberg. Patronne également des mineurs, ne verrait-on pas un parallèle entre celle qui porte en elle le trésor de l’humanité, à savoir la mère du Sauveur, et les gueules noires, qui remontaient à la lumière, l’or des entrailles de la terre ?
Texte et photos à l'exception de mentions contraires : MG - 21 avril 2021.
Il serait intéressant de savoir s'il existe d'autres sculptures de cet épisode dans le Bassin minier du Nord. Photo : Sainte Anne éduquant Marie, début XXe siècle, plâtre, ht : 78 cm, Bertrand de Metz-Noblat objets d'art, 65 rue Gabriel Mouilleron, Nancy 54000.