Christian Grataloup, Le Monde dans nos tasses - Trois siècles de petit déjeuner

Professeur émérite à l'université Paris VII-Denis-Diderot, Christian Grataloup est connu pour son travail sur l'histoire de la mondialisation et de la représentation du Monde. Suite à la publication de son ouvrage Le monde dans nos tasses – Trois siècles de petit déjeuner aux éditions Armand Colin, il avait tenu, à la demande d’Aurélien Gack professeur agrégé d’histoire au lycée Louis-Pasteur d’Hénin-Beaumont, une conférence à laquelle j’avais assistée. Amateurs de café, de thé ou de chocolat chaud, voici les grandes lignes de son propos.

Appelé déjeuner jusqu'au XVIIIe siècle, le petit-déjeuner est le repas qui rompt le jeûne nocturne. Premier repas de la journée, il représente le seul moment où l'on ne se pose pas la question de ce que l'on va manger. Dans tous les cas, il s'agit de boire une boisson tropicale avec ou sans sucre ! Thé, café, chocolat : tous ces produits proviennent des autres continents que le nôtre pour la simple raison que le théier (Camellia sinensis), le caféier (Coffea arabica) et le cacaoyer (Cacahua) ne supportent pas l'hiver. Ainsi, les régions du Nord consomment ce que les régions du Sud produisent.

En s'appuyant sur l'histoire des routes maritimes (route de la soie, route des grandes découvertes...), Grataloup s'est également interrogé sur l'origine linguistique du mot désignant dans le monde les feuilles infusées de l'arbuste Camellia sinensis : le thé est appelé, soit « té » (mot malais et cantonais), soit « chaï » (mot d'origine pékinoise). D'abord cultivé dans le Sud de la Chine et consommé dans le Nord de la Chine, le thé que l'on boit aujourd'hui nous arrive pourtant des anciennes possessions britanniques, l'Inde et le Kenya.

L'histoire du récipient contenant ces boissons chaudes surprend elle aussi. Inventée par les Chinois au VIIe siècle, la tasse a d'abord servi à contenir le thé. Consommée entre 60 et 70°C, cette boisson est versée dans un petit contenant que l'on prend directement en main. En revanche, le café consommé brûlant a conduit les Arabes à inventer le porte-tasse puis les Européens l'anse sur le côté.

L'adjonction de sucre dans ces boissons amères va populariser ces breuvages. Herbacée elle aussi tropicale, la canne à sucre appelée du temps d'Alexandre le Grand « roseau qui donne du miel » sera progressivement cultivée plus loin dans d'autres zones tropicales (les fameuses « Isles à sucre »). Et pour répondre à la demande toujours croissante, la plantation deviendra dès le XVIe siècle esclavagiste.

Né au sein de l'aristocratie européenne au cours du XVIIIe siècle, le petit-déjeuner est aujourd'hui une habitude matinale universelle illustrant une pratique alimentaire mondialisée. D'avantage individuel que collectif, il se caractérise par une boisson stimulante et/ou euphorisante d'origine exotique enrichie de sucre lui-même tropical. D'abord consommé par les adultes, le chocolat dépourvu d'excitant comme la théine ou la caféine, est devenu une boisson d'enfant. En partant d'un repas simple et banal mis en tasse, Christian Grataloup a retracé les grandes expéditions en mer et l'industrialisation alimentaire.

MG – 29 novembre 2018.