Menhir, dolmen et autres pierres équivoques de la vallée de la Sensée
Dans la vallée de la Sensée, un site mégalithique auréolé de mystère fascine historiens et passionnés de mondes oubliés. L’endroit se caractérise par un tertre de cinq mètres de haut surmonté d’une sorte de cromlech de cinq pierres de 2,10 mètres enfoncées dans le sol, et dont 70 centimètres affleurent. Ces étranges pierres disposées à deux mètres l’une de l’autre adoptent une forme de L renversé, tels des pénitents encapuchonnés penchés vers le centre du cercle qu’elles dessinent. Ces bonnettes, « petites bornes », étaient jadis au nombre de sept : celle au centre a disparu au début des années 1960 ; une autre repose, fragmentée, sur le sol à quelques mètres plus bas de la ronde lithique.
Aujourd’hui, les archéologues s’accordent pour reconnaître que ce tertre fut d’abord un tumulus recouvrant des sépultures datant du Néolithique. En revanche, les historiens pensent que les sept bonnettes ont été sculptées et placées au Moyen Age. Quant à la signification de l’ensemble du site, les lectures sont légion.
Certains y voient une éminence ayant servi à la transmission optique de messages, d’autres en font un monument commémoratif d’une grande bataille oubliée. On lit là aussi la trace d’une ruse militaire : les pierres ressemblent à des sentinelles surveillant la venue d’une armée ennemie. Outre ces interprétations demi-savantes, des explications populaires s'accumulent au fil du temps. Parmi toutes les légendes, retenons celles qui indiquent que l’endroit était protégé par un esprit ou qu’il serait l’oeuvre du Diable.
En 1842, Louis Joseph Harbaville raconte, dans son Mémorial Historique et Archéologique du Département du Pas-de-Calais, que sept jeunes filles seraient allées danser sur le tertre un dimanche pendant les vêpres : « tout-à-coup, voilà que leur danse en rond est arrêtée, leurs têtes deviennent raides, leurs bras se collent à leur corps, leurs jambes s’enfoncent dans le sol : elles étaient changées en pierres. » Après cette pétrifiante explication, d’autres hypothèses ont circulé en raison de l’alignement de ce tertre entre des lieux aussi tous aussi mystérieux telles la Pierre du Diable à Lécluse et la Cuisine des Fées à Hamel pour avancer l’idée qu’il s’agirait d’une table d’orientation.
Entre histoire, mystère et croyances, l'implantation des Sept Bonnettes à la confluence de trois rivières s'est indéniablement chargée d’une énergie diffuse et immémoriale. En l’abordant par l’arrière, la beauté du lieu surprend. Puis, en déambulant autour des pierres, la polarité du cercle nous rapproche du ciel tout en restant connecté à la terre. Et, lorsque le vent souffle sur le feuillage des arbres croissant sur cette élévation, c’est la voix des siècles qui se donne à entendre pour rappeler l’importance énergétique et sacrée de cette éminence verte faite de terre et de pierres
Les Sept Bonnettes, Sailly-en-Ostrevent - Photos : 24 octobre 2021.
Au milieu d’interminables champs inaccessibles en voiture, se dresse depuis le néolithique (entre 5000 et 2500 av. J.-C.), le reste d’un menhir, qui mesurait, avant que les Allemands ne le dynamitent en avril 1918, près de cinq mètres hors du sol et pesait 30 tonnes. Aujourd’hui, ce mégalithe en grès landénien enfoncé à seulement un mètre de profondeur, large de deux mètres et épais de 0,60 mètre est appelé la Pierre du Diable en raison des griffures sur l’une des faces et de la figure du démon à profil humain, à très longue queue, et ayant dans son bras une tête de bélier, qui se dessine dans les reliefs du monolithe dominant la vallée de la Sensée.
Si les scientifiques pensent qu’il s’agit là d’une simple formation géologique, la mémoire collective ne retient que la légende d’un paysan ayant pactisé avec Satan pour que ce dernier lui reconstruise sa grange avant le chant du coq. Pris de remords, le fermier avoua tout à sa femme, qui eut l’idée de faire chanter le coq avant le lever du jour, afin de sauver son époux. Le lendemain, fou de rage en découvrant la supercherie, le diable lança violemment la pierre destinée au pignon de la grange, qui atterrit au milieu du champ, là où elle se trouve encore. Ce menhir est classé monument historique depuis 1887.
Au centre du village, entre le monument aux morts sculpté au début des années 1920 par Hippolyte Lefebvre (1863-1935) et l’église Saint-Vaast construite entre 1925 et 1931, se donne à voir la clef de voûte qui ornait la chapelle de la maladrerie jusqu’au XVIIe siècle. Les armoiries représentées en relief sont celles d'Antoine de Croy, seigneur de Sempy et membre de la maison Croy-Chimay ,qui possédait Lécluse depuis 1485. Un bélier suspendu à une chaîne a été gravé au-dessus du blason : ces insignes sont ceux de l'ordre de la Toison d'Or, créé en 1439 par le duc de Bourgogne pour unifier la noblesse et propager la religion catholique.
Plus bas, au 51 Grand-Rue, une plaque apposée sur le pignon d’une belle et grande bâtisse bourgeoise rappelle que le poète Paul Verlaine (1844-1896) passait parfois ses vacances à Lécluse, chez sa cousine Élisa-Léocadie Moncomble. Ensemble, ils flânaient à travers champs et marais. Il semblerait que certains de ses poèmes du recueil Fêtes galantes (1869), dont Promenade sentimentale et Chanson d’automne, aient été écrits en souvenir de ces promenades. Une légende raconte encore, que derrière la plaque se cachent toujours un verre et une bouteille d’alcool en mémoire de la vie dissolue de Verlaine.
La Pierre du Diable et le village de Lécluse - Photos : 24 octobre 2021.
Une source d’eau toujours fraîche coule en dessous d’un dolmen érigé entre 2800 et 2000 avant notre ère et aujourd’hui abrité par des arbres. S’il ne se compose maintenant que de trois des six pierres colossales originelles, ce monument surplombant une vallée marécageuse est souvent désigné Cuisine des Fées ou Pierre Chavatte en raison des trous en forme de talon de chaussures présents sur sa surface. A ces creux sont attachées quelques croyances populaires. On prétend, par exemple, que les Carimaras – Bohémiens ou êtres malfaisants -, ayant trouvé refuge en ce lieu, préparaient onguents et autres poisons dans ces petites cavités. Une autre légende interprète ces cupules comme les traces des pieds de la chaise et de la quenouille de la Vierge, qui file.
D’une manière générale, les mégalithes sont souvent associés à des fées. La fileuse, divine ou fantastique, inspirait la méfiance sinon la crainte chez les habitants du coin, qui n’osaient s’aventurer la nuit près du dolmen. En 1923, Léon Desailly publie dans le Bulletin de la Société préhistorique de France (t. 20, no 6, p.p. 187-189) un article intitulé Les Mégalithes de la rivière la Sensée (Nord), dans lequel il avance l’idée que ces cavités régulières et polies sont l’objet d’une intervention humaine et correspondraient à la représentation de la constellation de la Grande Ourse.
Alors que le soleil poursuivait sa course déclinante, nous nous sommes promenés le long des chalets situés aux abords des marais, histoire de réfléchir à la surface de l'eau à ce que nous croyons réellement.
La Pierre Chavatte à Hamel et l'Etang de Lécluse - Photos : 24 octobre 2021.
Textes et photos : MG - 24 octobre 2021.