Un dernier mot pour et sur Ben

« On m’a demandé d’écrire - comment sera la fin du monde - elle est déjà là - regardez par la fenêtre regardez la télé - regardez-vous dans le miroir et sautez par la fenêtre. »

Dernière newsletter de Ben envoyée à ses abonnés le soir du 4 juin 2024.

Le jour de mon 34e anniversaire, je suis allé rejoindre Ben chez Frédéric Storme, galeriste pour qui j’écrivais, de temps à autre, des critiques sur les artistes qu'il défendait. Ben, en pyjama, était allongé dans un lit placé au milieu de son exposition et au-dessus duquel il avait écrit : « Voulez-vous coucher avec moi ? »

Tantôt couché, tantôt debout, Ben tenait une action-conférence sur l’amour, le sexe et… son œuvre couvrant entièrement toutes les cimaises de la galerie. Ce soir-là encore, ses gestes et son comportement devenaient œuvres d’art puisqu’il l’avait décidé. C’était sa manière de rapprocher l’art de la vie. Toute sa vie, Ben aura décliné ce principe avec humour au travers d’aphorismes et de performances relevant d’attitudes quotidiennes absurdes ou insignifiantes.

Un peu plus tard dans la soirée, quelques personnes du milieu de l’art, Ben et moi avons mangé ensemble. Dans le restaurant, nous parlions d’art, bien sûr, mais aussi des choses de la vie ordinaire. Par moment, l’artiste niçois dessinait ou écrivait sur la nappe dans une calligraphie arrondie, presque enfantine. Son écriture naïve, sans majuscule ni ponctuation, exprimant des vérités, des commentaires sur le monde et sur l’actualité, des invectives ou des constatations, l’avait fait connaître du grand public.

A la fin du repas, j’ai demandé à Ben s’il pouvait me laisser un mot avant son départ pour le Sud. « Donne-moi le carton d’invitation », m’a-t-il dit. N’ayant pas d’autres supports que ce morceau de carton glacé, je le lui ai tendu. Aussitôt, il a esquissé un bonhomme brandissant dans chaque main un rectangle schématisant un tableau. Dans celui de gauche se lisait « Ben », dans celui de droite « pas Ben ». Et Ben, comme toujours, a ri.

« Ben signe tout », annonçait-il sur une toile en 1962. Appartenant à l'avant-garde artistique postmoderne, Benjamin Vautier, dit Ben, avait ainsi développé durant plus de 60 ans la notion d’appropriation, qui estime que tout est art et que tout est possible en art.

Ce mercredi 5 juin, Ben a été retrouvé mort dans sa maison située à Saint-Pancrace dans les hauteurs de Nice. Suite au décès de son épouse et inébranlable soutien Anne, survenu quelques heures plus tôt, il se serait tiré une balle dans la tête. Il avait 88 ans.

Texte : MG - 6 juin 2024. Photos : MG - 2 juin 2005.