La valorisation du monde ouvrier chez Fernand Léger et Jean Fautrier
Fernand Léger, Le Mécanicien, 1920,
huile sur toile, 116 X 88,8 cm.,
musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa.
· La première version est conservée au musée d’Art moderne de Villeneuve d’Ascq.
« Les ouvriers apprécient le beau mais ne comprennent pas l’art moderne en raison d’une mauvaise éducation visuelle. » (Fernand Léger)
Ce que je vois :
Sujet moderne : le mécanicien est l’aristocrate du monde ouvrier, un héros.
Attitude digne et non au repos.
Mécanisation du corps : croyance aux progrès.
Tête de profil (référence à l’art égyptien).
Tatouage sur le bras, fume le cigare : individualisation et confiance en soi de l’ouvrier.
Ce que j’analyse :
Multitude de sources de points de vue rendant les reflets métalliques instables ; ces derniers rythmant la surface du tableau.
Lisibilité du corps résultant de l’équilibre entre ce qui relève du réalisme visuel et ce qui relève du réalisme plastique.
Articulations prononcées des membres créant une mobilité.
Inversion du doigt et du cigare, pli non anatomique : le doigt est rabattu à la surface de la toile (ce n’est qu’une représentation).
Ce que je comprends :
Absence de fuyantes : le personnage est en volume sur un univers bidimensionnel.
Arrière-plan de formes orthogonales (référence à l’architecture contemporaine), contrastées et colorées (référence à l’urbanisme contemporain avec ses éclats, ses rues éclairées, ses affiches…).
Des couleurs primaires (rouge, jaune) créant une relation rythmique entre le personnage et le fond : le mécanicien ressort et en même temps s’inscrit dans ce décor (communion entre les êtres et les choses). Ces couleurs évoquent le monde moderne sans le décrire.
Esthétisation du banal, de l’ordinaire.
Léger met ici l’accent sur les symboles de la civilisation industrielle et mécanisée et glorifie l’ouvrier, le mécanicien en le portraiturant à la manière des nobles et des bourgeois.
Jean Fautrier, Portrait de ma concierge, 1922,
huile sur toile, 81 X 60 cm.,
musée des Beaux-Arts, Tourcoing.
Ce portrait représente la concierge du 6, rue Nicolet, sur la pente nord de la butte Montmartre où résidait Jean Fautrier en 1922. (…)
L’effigie de la concierge se détache sur le mur nu, en deux tons sobres, comme souvent dans les entrées de vieux immeubles parisiens, et dont le bref retour à gauche marque un point de fuite. La pose est apprêtée, mais elle n’a rien de guindé. La concierge paraît soucieuse de « présenter bien », les cheveux sont soigneusement crantés, la blouse fermée par un broche et le gros anneau du trousseau de clés est accroché à la ceinture ; les mains plébéiennes, habituées aux ménages par tous les temps, sont soigneusement croisées, sans ornement à l’exclusion de l’alliance, enfoncée comme une ornière. Sur ce décor et cette présentation d’une dignité un peu pauvre et triste, se détache un visage dont le dessin est d’une surprenante souplesse ; il suit les méplats, les bosses, les sillons et les rides avec une sorte d’attentive affection. Les rythmes curvilignes des joues rentrées, des pommettes saillantes, des veines sur la tempe et des cheveux ondulés relèvent du grand art. Fautrier n’omet pas les yeux fatigués, à la sclérotique rouge, mais sans apitoiement, ni méchanceté. (…)
La complémentarité vert et rouge violacée sur le visage et les mains est particulièrement remarquable. La hauteur des tons, notamment le vert du visage, évoque le fauvisme. (…) Trois accents jaunes – boucle d’oreille, broche, alliance – ponctuent les principaux accords vert et rouge, gris et noir. Dans le rendu des valeurs sombres, Fautrier n’a pas négligé les textures des pièces différentes du costume : les parures de satin des manches et le col de fourrure brillent et se détachent sur le tissu mat de la blouse. La grande oreille mise en évidence par le trois-quarts, porte au lobe distendu une boucle un peu lourde, qui sent son bon marché. (…) Le tableau paraît atteindre le sommet d’un réalisme dénué d’emphase.
M.-A . Stalter, Portrait de ma concierge et œuvres choisies, Les dossiers du Musée de Tourcoing, 1987.
Fautrier manifeste ici son intérêt psychologique et plastique pour les petites gens de Paris. C’est un portrait de caractère social.
M. G. 14 février 2009.