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Gustave Flaubert, L'Education sentimentale

Publié le par MG

Le héros, Frédéric, lancé dans la société parisienne, se rend à une des réceptions que le banquier Dambreuse et sa femme donnent le soir, dans leur hôtel particulier...

Frédéric s'avança dans le salon.

La lumière était faible, malgré les lampes posées dans les coins ; car les trois fenêtres, grandes ouvertes, dressaient parallèlement trois larges carrés d'ombre noire. Des jardinières, sous les tableaux, occupaient jusqu'à hauteur d'homme les intervalles de la muraille ; et une théière d'argent avec un samovar se mirait au fond, dans une glace. Un murmure de voix discrètes s'élevait. On entendait des escarpins craquer sur le tapis.

Il distingua des habits noirs, puis une table ronde éclairée par un abat-jour, sept ou huit femmes en toilettes d'été, et, un peu plus loin, Mme Dambreuse dans un fauteuil à bascule. Sa robe de taffetas lilas avait des manches à crevés, d'où s'échappaient des bouillons de mousseline, le ton doux de l'étoffe se mariant à la nuance de ses cheveux ; et elle se tenait quelque peu renversée en arrière, avec le bout de son pied sur un coussin - tranquille comme une oeuvre d'art pleine de délicatesse, une fleur de haute culture.

Gustave Flaubert, L'Education sentimentale, 1869.


Avec L'Education sentimentale, publié en 1869, Gustave Flaubert offre une nouvelle conception du roman. En effet, ce roman de "passion inactive" brosse le tableau d'une génération perdue, par le biais d'un style et d'un regard dont la froide ironie masque pour mieux révéler les ressorts inépuisables de l'illusion. Dans cet extrait, on découvre avec stupéfaction, l'intérêt que le héros, Frédéric, porte aux choses luxueuses plutôt qu'aux personnes elles-mêmes. 


I. Le point de vue de Flaubert :

    1. La découverte du lieu :
- Cette découverte se fait par le héros. D'emblée, nous passons d'un récit ("Frédéric s'avança dans le salon.") à une description du salon.
- Utilisation de la focalisation interne.
- Une découverte progressive : elle se fait au gré du déplacement de Frédéric jusqu'à Madame Dambreuse, le point central de la decription.

    2. Une pièce perçue à travers les sensations du héros :
- Verbe de perception : "distingua".
- jeux sur la lumière, le clair-obscur ("lumière était faible", "ombre noires", "éclairées"...) ; jeux sur la matière ("taffetas lilas", "des manches à crevés", "des bouillons de mousselines") ; jeux sur les espaces pleins et vides, sur les bruits (la redondance dans "murmures de voix discrètes", l'harmonie imitative "des escarpins craquer", les allitérations en "s" dans "un samovar se mirait au fond, dans une glace").

    3. Une fascination :
- Frédéric est passif, hypnotisé par Madame Dambreuse.
- La dernière phrase est longue et très rythmée par les virgules, ponts virgules, tiret et marque le regard arrêté de Frédéric.



II. Un cadre somptueux :

    1. Le luxe :

- par les proportions ("larges", "intervalles"...) et la perspective ("parallèlement", sous", "à hauteur d'homme"...).
- par la profusion et la richesse des objets ("les tableaux", "théière d'argent"...).
- dans les détails vestimentaires (""le ton doux de l'étoffe"...).

    2. Le calme :
-"voix discrète", "tranquille".
- rythme ralenti par le travail de la description.

    3. La volupté :
- La pénombre est propice à la rêverie.
- Les matières sont veloutées : "les tapis", "mousseline", "le ton doux de l'étoffe"...
- la pose alanguie de Madame Dambreuse ("renversée en arrière").


III. Une fusion entre les êtres et les objets :

    1. Présence/absence :
- Le salon réunit objets et personnes (symbiose).
- On entend plus qu'on ne voit les gens ("On entendait"). Quand ils sont décrits, l'auteur emploie la synecdote ("On distingua des habits noirs").
- Madame Dambreuse perd son côté humain : "une fleur de haute culture".

    2. Reflets et échos :
- "une théière d'argent avec un samovar se mirait au fond, dans une glace".
- "un murmure de voix discrètes".

    3. Tableaux et tableau :
- sur les murs du salon, il y a des "tableaux".
- Et dans ce salon, Madame Dambreuse paraît "une oeuvre d'art".
- Mise en abyme : des tableaux dans un tableau.


Dans cet extrait tiré de L'Education sentimentale, la focalisalisation interne, l'attachement aux objets luxueux, les jeux visuels et sonores, la structure des phrases longues et ponctuées rendent une atmosphère particulière dans laquelle évolue une aristocratie oisive.

MG 16 mai 2009.


Lire aussi Gustave Flaubert, Madame Bovary, I, 8.



Exemple de mise en abyme en art :

Nadège Dauvergne, Mise en abyme, pierre noire sur papier, 16 mai 2009.


Commenter cet article
L
Des souvenirs ! Ce roman lu l'année du Bac de français... Souvenirs...
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M
Et pourquoi pas résignation et irreligieux ? Ce sont de beaux termes... et c'est peut-être au lecteur d'en proposer une interprétation. Ne le fais-je pas suffisamment sur le texte ou l'image des autres ?
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M
pourquoi résigration, pourquoi irreligieux ? trés belle photo de fond , le dessin aussi
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M
Bonjour N.,Par ce beau temps, on est mieux dehors qu'ici. De plus, mon blog présente encore un bug : je n'ai donc plus très envie de lutter contre ces dysfonctionnements et je suis moins accro à over-blog.Flaubert est l'écrivain qui me fascine le plus. Il est celui qui voulait écrire sur rien. Il amène à la destruction de ses héros ; en ce sens il est le précurseur du nouveau roman.A bientôt.
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N
Bonjour M,Je passais pour te voir mais on m'a dit que tu étais sorti... je repasserai donc plus tard !J'en profite pour relire ton article puisque je suis sur le point de finir cette œuvre littéraire qu'est "l'éducation sentimentale"... pour tout te dire je ne connaissais pas cet auteur avant que tu en parles. J'ai vraiment survolé ma scolarité et comme je me suis enfuie très vite dans mon imaginaire, pour la concentration on a vu mieux. Même si j'ai toujours lu, j'avoue que depuis que je visite les blogs et le tien en particulier le rythme c'est accéléré. Qui a dit qu'à cause d'internet on lisait de moins en moins ?J'imagine que tu as moins de cours maintenant et que tu peux souffler un peu.À très bientôt.
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M
Bonjour B.,Ravi de te savoir ici... je suis en train de terminer le plan détaillé du commentaire d'un extrait de Madame Bovary que je publierai sur le site dans quelques minutes. Flaubert ou plutôt le style de Flaubert m'a toujours impressionné.MG
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D
Sans Maxime du Camp, directeur de La Revue de Paris qui publia les pages de Madame Bovary, pas de Flaubert célèbrissime !! Avec ce précieux ami, pas de voyages en Egypte-Liban-Palestine-Syrie-Turquie-Grèce à écrire Salammbô en se défoulant "sans complexes", et, sans Louis Bouilhet, rien d'une correspondance qui apprend plus qu'en cette belle "Education" stylée d'un syphillitique amateur de bordels et de jeunes filles faciles, échouant auprès de Louis Colet à qui il avouera, le 13/04/1854 :"je te veux homme jusqu'à la hauteur du ventre ; en descendant, tu m'encombres et tu me troubles avec l'élément femelle"... Quelle autre "éducation", n'est-il pas ?.. Bonne continuation blogiste, Bertrand
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