Ma matante, elle est comme ça !
Elle se réjouissait d'avance de me recevoir.
La veille encore, elle avait rompu la farandole ouvrant l'émission de Patrick Sébastien, pour orner de boules et de guirlandes les briquettes de la devanture de sa maison plain-pied. Accompagnée de son teckel à poil ras vêtu d'une pièce de laine assortie à ses chaussons, elle n'avait pas hésité une seconde à piétiner la neige qui se déposait finement sur l'allée bordée de petites lampes solaires en plastique noir encore code-barrées. Elle regrettait peut-être de n'avoir pu prévoir d'illuminer le petit groupe de nains de jardin postés autour du faux puits au faîte duquel pendouillent l'été d'énormes géraniums.
Ma matante, elle est comme ça !
D'ordinaire, ma matante ne laisse jamais rien au hasard. Elle sollicite souvent son voisinage immédiat pour l'aider, en fonction des saisons et de la mode, à baliser sa terrasse d'oeillets d'Inde plantés dans les pneus récupérés de sa Renault Mégane, remplacer dans le couloir le papier peint à gros motifs floraux par une tapisserie unie à teinte pastel rehaussée d'une frise décorative, couvrir le ballatum du salon jugé trop foncé d'une moquette qui puisse enfin mettre en valeur le canapé en cuir vachette récemment acheté à Conforama... Les choix esthétiques de ma matante sont très évolutifs, rarement définitifs !
Elle a toujours été comme ça.
Le matin de ma visite, ma matante avait insisté auprès de sa dernière fille pour que les posters de l'univers de High School Musical soient rescotchés et que les peluches, qui envahissaient le sol de sa chambre, soient installées de manière à peupler aussi bien le bureau en formica que le dessus de son lit. Et, tandis que sa progéniture s'éxécutait, ma matante s'attachait aux derniers détails de la salle à manger. Une fois les canevas de monuments historiques encadrés et les photographies floutées accrochées dépoussiérés, elle disposait avec patience, sur chaque napperon, les couverts et les verres à l'effigie de chiens de chasse.
Ma matante est vraiment comme ça !
Le soir venu, vêtue d'une robe à fleurs en tissu acrylique, elle ne cessa de soulever délicatement le voile brodé qui couvrait la fenêtre avant au moindre passage d'une voiture. La neige avait cessé de tomber. Kévin, l'aîné, se repassait l'épisode manqué de Koh-Lanta tout en jouant avec sa gourmette dorée ; la cadette s'évadant au travers d'une Tour Eiffel enneigée et enfermée dans une boule de plastique. De temps à autre, ma matante se précipitait vers la cuisine pour vérifier le temps écoulé qu'affichait son minuteur en forme de citron. Les crudités se figeaient dans le frigo ; quelques desserts décongelaient dans le four à micro-ondes.
Ma matante, elle est comme ça.
A mon arrivée, elle s'empressa de m'embrasser. Me délestant des paquets à placer sous l'arbre de Noël, elle me dirigea pour découvrir son intérieur. L'estampillage d'ustensiles standardisés, d'objets exotiques et de copies de tableaux de Brughel et d'artistes impressionnistes affichait un système de valeurs et de références rassurant dans lequel ma matante s'épanouissait davantage encore en me rappelant l'origine et le prix de chaque achat. On but du Crémant d'Alsace. On mangea excessivement par étape. On parla du temps et de Carla bientôt enceinte. On s'émerveilla des cadeaux offerts censés substituer l'accessoire fonctionnel manquant...
Chez ma matante, c'est toujours comme ça !
MG à N.- 07 juin 2011.