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La Villa Verveine de Caroline Dahyot : un univers empli d’une douce poésie

Publié le par MG

La Villa Verveine de Caroline Dahyot : un univers empli d’une douce poésie

Les familiers de l’art culturel, s’ils veulent bien faire effort pour prendre une distance à l’égard des formes d’art qui leur sont habituellement proposées, pour échapper au trompeur conditionnement et pour accommoder leur regard à des modes d’inscription et de transcription étrangers aux recours habituels, trouveront dans ces productions une libération de toute contrainte, un déchaînement d’ingéniosité et d’innovation, une ouverture à des voies insoupçonnées, qui les porteront à révoquer l’opinion des docteurs de l’art collégial sur le caractère prétendu primitif des ouvrages de cette nature.

Jean Dubuffet, préface in Michel Thévoz, L’Art brut, Editions d’Art Albert Skira, Genève, 1981.


 

A l’instar du Facteur Cheval (1836-1924) pour son voisinage, Caroline Dahyot est perçue à Ault (80460) comme un être étrange, non une « folle », mais une « sorcière » qui fait peur en raison des peintures et des mosaïques qui couvrent la façade de sa demeure sise 21 rue Saint-Valery. On garde en mémoire les propos insensibles de Marthe Sueur maire (DVD) de ce village de 1400 âmes qui sut pourtant accueillir en 1837 l’auteur des Voix intérieures, de Ruy Blas et des Misérables. Si la reconnaissance des critiques d'art à l’égard du travail de Caroline a progressivement étouffé les médisances et éclairé l’ignorance qui portaient atteinte tant psychologiquement que physiquement à l’artiste, il n’empêche que certains voient toujours d’un mauvais œil cette devanture sur laquelle on peut lire : « Nous sommes rois et reines de nos maisons ». Pour en avoir le coeur net, nous avons frappé à la porte de la « Villa Verveine ».

Pieds nus, vêtue d’une robe « bohème » et affichant un sourire naturel, la belle Caroline nous invite, sans même nous connaître, à découvrir son antre surplombant la mer. Du haut de la falaise crayeuse, attablés sous la représentation de ses enfants virevoltant sur le plafond, nous nous présentons en sirotant un jus de fruit immédiatement offert. « Si je vous accueille, c’est parce que je pressentais qu’il fallait vous ouvrir la porte », précise-t-elle. L’incomprise du bourg, la sorcière du village pratiquant la magie blanche, l’artiste maudite parle avec douceur, avec son coeur de son histoire, de ses inquiétudes comme de sa quête d’un monde meilleur, rassurant et protecteur. De sa voix d’éternelle enfant ne sortent que des mots d’amour. Les mêmes que ceux qu’elle chante pour les siens et pour les autres ; les mêmes que ceux qui se lisent sur les murs, le mobilier et les tissus témoins d’une horror vacui. « Je ne me souviens plus de mon premier abandon. Je n’ai que la sensation de ce vide angoissant pour une enfant. Je l’ai comblé par l’idée de ma future famille », reconnaît-elle.

La façade de la Villa Verveine à Ault.
La façade de la Villa Verveine à Ault.
La façade de la Villa Verveine à Ault.
La façade de la Villa Verveine à Ault.
La façade de la Villa Verveine à Ault.
La façade de la Villa Verveine à Ault.

La façade de la Villa Verveine à Ault.

Suite à la séparation d’avec le père de ses deux enfants en 2006, Caroline se lance de manière obsessionnelle dans la couture et le dessin, dépose des poupées totémiques dans les pièces de vie et peint sur toutes les surfaces qui structurent sa maison. Textes secrets ou clairement affichés, nombres suggérés ou inscrits, formes réalistes ou symboliques, couleurs vives ou estompées, chaque élément et manière de faire confèrent à l’ensemble architectural qui est le sien une dimension d’oeuvre d’art total qu’elle rechigne à accepter. Au travers d’actes magiques accompagnant ses réalisations bi et tridimensionnelles libératrices, Caroline rappelle que nous sommes ici dans un univers parfois transfiguré, personnel et familier. Ce rapport quotidien au surnaturel est d’autant plus renforcé par la désignation de la villa. Utilisée depuis l'Antiquité, la verveine est connue pour ses vertus sur l'organisme et pour ses propriétés apaisantes. La maison de Caroline est donc un bouclier dressé contre toute agression extérieure.

La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.
La Villa Verveine à Ault.

La Villa Verveine à Ault.

Bricolage et sauvagerie diront certains, alibi spirite commenteront d’autres, créations et messages remplissant du sol au plafond chacune des pièces de l’habitation sont les empreintes d’un voyage intérieur depuis l’enfance sans point de retour au travers d’une démarche singulière vers un idéal créatif et performatif, familial et social, dramatique et onirique. Dans cet enchevêtrement poétique d’objets et d’images dans lequel humains simplifiés et animaux fantasmagoriques - ses amoureux ont une tête de chat - se côtoient et dialoguent, les références à la religion chrétienne se mêlent au caractère ésotérique, incantatoire et médiumnique. Le graphisme assuré, les couleurs et nuances maîtrisées, le jeu des cernes ou des mandorles garantissant protection aux formes des lieux ou des êtres chers sont la transcription de l’hyper-sensibilité d’une femme-enfant qui cherche frénétiquement à protéger celles et ceux qu’elle aime. Affectée aussi par l’actualité, elle convoque dans ses représentations des scènes de persécutions homophobes en Tchétchénie par exemple ou cherche dans le cadre des municipales 2020 à transcrire sur la façade de sa villa son rejet de la xénophobie. La douce Caroline poursuit inéluctablement son œuvre en marge d’un monde violent néanmoins perfectible.

 

Texte et photos : MG - 20 et 23 août 2019.

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C
Merci beaucoup pour ces détails et explications sur mon lieu de vie, merci pour ces belles photos et votre écriture.
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