A propos du programme du Conseil National de la Résistance
Si la génération de mes parents se levait pour voir poindre un jour meilleur que celui de la veille, ma génération se lève difficilement parce qu'elle ignore si la journée sera bonne mais sait que demain sera pire. Que reste-t-il aujourd'hui, au nom de l'adaptation à la mondialisation et de l'intégration à l'Union européenne des conquêtes sociales issues du programme du CNR ? Qu'adviendra-t-il demain de l'héritage social, économique, politique que les Résistants nous ont légué au prix de leur vie ? Et que laisserons-nous à nos enfants si les garanties d'hier se délitent chaque jour davantage ?
Telles sont les questions que je me pose à l'issue de la lecture du documentaire de Gilles Perret, Les Jours heureux (2013) dont l'argument est « quand l'utopie des Résistants devint réalité... ». C'est pourquoi, je propose que l'on se rappelle de ce que fut plus exactement le programme du CNR, que l'on aborde son application au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de sa prégnance dans la société actuelle et que l'on évoque enfin les critiques formulées par nos contemporains au sujet du contenu de ce programme.
Chargé par le général de Gaulle d'unifier les différents mouvements de résistance à l'intérieur du territoire occupé par les Allemands, Jean Moulin parvient même à réunir le 27 mai 1943 à Paris (rue du Four) un Conseil National de la Résistance (CNR) qu'il préside. Ce jour-là un programme intitulé « Les Jours Heureux par le CNR » est rédigé. Ce court texte est adopté le 15 mars 1944 par :
- huit mouvements de Résistance intérieure : “Combat”, “Libération zone Nord”, “Libération (Sud)”, “Francs-tireurs partisans (FTP)”, “Front national” (rien à voir avec le Front national actuel), “Organisation civile et militaire” (OCM), “Ceux de la Résistance” (CDLR), “Ceux de la Libération” (CDLL) ;
- deux grandes confédérations syndicales de l’époque : CGT (réunifiée) et CFTC ;
- six représentants des principaux partis politiques reconnaissant la France Libre, dont le parti communiste, le parti socialiste, les radicaux, la droite républicaine et les démocrates-chrétiens.
Définie comme une lutte quotidienne toujours intensifiée même après la Libération, la Résistance unifiée a non seulement élaboré un plan d'action immédiate contre l'oppresseur mais aussi réfléchi aux mesures destinées à instaurer un ordre social plus juste après la guerre.
La première partie du programme du CNR évoque la participation de tous les Français à la traque de l’ennemi, à la lutte contre la déportation, à l’éviction des traîtres et de tous ceux qui ont pactisé avec les Nazis et le Régime de Vichy. La Résistance doit ainsi se battre ou disparaître. Il est également question de l'organisation de Comités dans les villes et les entreprises placés sous la direction de Comités départementaux de Libération (CDL) chargés de transmettre la ligne politique du CNR. La lutte à mener est aussi celle contre le blocage des salaires, des traitements, des rations alimentaires, etc. Enfin, en vue de coordonner les actions de résistance, le CNR se doit de renforcer les organisations armées des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) et d'assurer la coopération avec les Alliés en cas de débarquement.
La seconde partie dudit programme énumère les mesures à appliquer après la guerre pour établir le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF), pour veiller au châtiment des traîtres, pour confisquer les biens des traîtres et des ennemis, pour assurer la démocratie par le biais du suffrage universel et toutes les libertés (de pensée, d'expression, de presse...etc.), pour entreprendre des réformes. Ces réformes doivent garantir une démocratie économique et sociale, conduire à une hausse de la production nationale selon un plan étatique (la nationalisation), donner le droit d'accès à la direction pour tous, au travail, au repos et permettre la reconstitution des libertés d'un syndicalisme indépendant. En outre, un plan de sécurité sociale, de sécurité de l'emploi, une allocation pour les victimes de guerre, une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations colonisées et un accès à l'instruction et à la culture pour tous permettront de fonder une République nouvelle.
A la Libération, la création souhaitée par le CNR du GPRF a garanti l'indépendance de la France en évitant une mise sous tutelle internationale et a permis de faire passer la France du côté des vainqueurs. Dès 1945, une Assemblée constituante est chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Ainsi naît le 27 octobre 1946 la IVe République sur les bases du programme du CNR. Toutefois, le bilan de cet accomplissement est à nuancer car durant des années après la fin du conflit mondial les files d'attente et le rationnement perdurent. Quant au tripartisme (PC, SFIO, MRP), force gouvernementale unie lors des élections législatives de 1945, il vole en éclat dès 1947 avec le départ des communistes du gouvernement suite aux grèves de la régie Renault, l'adoption du plan Marshall et la répression qui sévit en Indochine.
SI une grande partie du programme du CNR a été mise en oeuvre après la guerre (sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des féodalités économiques à la Libération, droit à la culture pour tous, presse écrite délivrée de l’argent et de la corruption, lois sociales agricoles, etc), le texte et son application ne sont pas exempts de critiques. Aussi, reproche-t-on la création d'un Etat Providence, d'un Etat trop paternaliste découlant d'un compromis entre gaullistes et communistes. Les attaques visent aussi le statut de la fonction publique, les régimes spéciaux de retraites, la refonte de la Sécurité Sociale... A la relecture du programme du CNR, l'on s'interrogera enfin sur l'absence de remise en cause des colonies et sur l'oubli de la place et des droits de la femme dans la société française.
MG - Discours prononcé à l'issue de la projection du film de Gilles Perret, Les Jours heureux à l'Idéal Cinéma - Jacques Tati d'Aniche le 22 janvier 2016.