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Jean Lutas (1922-1944), martyr anichois

Publié le par MG

Jean Lutas probablement en 1936.

Jean Lutas probablement en 1936.

Jean Lutas est né à Masny le 19 novembre 1922. D'abord domicilié au 44 Chemin croisé, il réside par la suite à Aniche dans la cour Dufour donnant sur la rue Thiers (actuelle rue Barbusse). Probablement apprenti verrier, Jean rêve de devenir ingénieur électricien au grand dam de son père, monteur de chevalements. Aussi travaille-t-il de temps à autre en tant que projectionniste à l'Idéal Cinéma de sa commune afin de s'offrir secrètement quelques livres nécessaires à son éducation...

Avant même que la guerre n'éclate, son père William, abandonne femme et enfants1. C'est son oncle, Gustave Bouché, surnommé le « Champion » en raison de ses victoires aux concours colombophiles, qui prend en charge la famille. Dès l'été 1940, Aniche vit sous la botte allemande et, en 1942, Jean est réquisitionné pour travailler dans un camp à Trebbin dans le Brandebourg en Allemagne. Des témoignages nous apprennent que les conditions de vie des requis du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) y sont déplorables : en dépit de la rigueur de l'hiver, les baraques ne sont pas chauffées, la nourriture s'amenuise chaque jour et la brutalité physique contrecarre toute initiative patriotique.

En janvier de l'année suivante, la sœur de sa mère, Madame Verrier, le fait revenir en délivrant aux autorités ennemies un faux certificat de décès de Madame Andreana Lutas-Cau. Profitant de l'occasion, « il cherche à disparaître de la vue de la Gestapo et, en juin, prend part à la grève des mineurs du Bassin d'Aniche »2. Progressivement, Jean Lutas entre dans la clandestinité en recrutant des hommes et organisant à Aniche une section F.T.P.F. (Francs Tireurs et Partisans Français). Informé par son oncle et tuteur sur la manière de saboter un train, il participera au dynamitage des locomotives de la gare de la fosse Saint-Hyacinthe dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1944.

Préoccupé par les moindres mouvements allemands, son terrain d'action devient le Douaisis. Les armes que lui livrent les F.F.L. (Forces Françaises Libres) par parachutage dans les champs avoisinant le cimetière du Sud à Aniche sont cachées sous le plancher de la maison de sa grand-mère, Mme Cau, avant d'être distribuées aux hommes. A Auberchicourt, coiffé d'une perruque rousse, il abat en pleine rue (boulevard Coquelet) un informateur d'origine polonaise à la solde des Nazis. Dès lors, Jean est activement recherché par la Gestapo3.

Jean fuit vers Valenciennes et agit dorénavant non plus sous les ordres de son oncle, le capitaine Robert Verrier4, mais sous ceux du capitaine Poulain. Il accomplit de nombreuses autres tâches périlleuses et participe à plusieurs sabotages (destruction de pylône, de pont, de grues, de péniches...). Promu le 1er juin 1944 au grade de sous-lieutenant dans les F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur), il se rend avec ses hommes à Beuvrages le 21 août 1944 afin de remplir une mission. Malheureusement, ils sont arrêtés par une patrouille ennemie qui les attendait5.

Ramené à Valenciennes, Jean subit d'atroces tortures : pratique de "la baignoire", arrachage d'ongles, émasculation, brûlure à l'acide de la tête... N'obtenant aucune information, la Gestapo le conduit presque sans vie au champ de tir du hameau dit du « Rôleur » pour y être fusillé le 23 août 1944. Il avait alors 22 ans. Son corps est retrouvé le 6 septembre dans un charnier avec dix-neuf autres mutilés6 sous 20 centimètres de terre et identifié à l'Hôtel-Dieu de Valenciennes par sa soeur, Jeanine Lutas, grâce au pantalon qu'elle lui avait confectionné.

Dans un premier temps, les vingt cercueils sont exposés dans une chapelle ardente au musée de Valenciennes. Une croix sommaire sera implantée sur les lieux de la macabre découverte, bientôt remplacée par un monument érigé par les municipalités de Marly et de Valenciennes. Dans les années 1980, le monument, devenu vétuste, est remplacé par un nouveau, lui aussi financé par les deux communes.

Les funérailles et l'inhumation de Jean Lutas ont lieu à Aniche le 10 septembre 1944. Le 9 juillet 1945, le jeune homme est reconnu « mort pour la France ». Depuis le 11 décembre 1944, une rue porte son nom à Aniche et à Masny.

 

1. La famille se compose de Jeanine, Yvette et Gilbert, sœurs et frère de Jean Lutas. Leur mère, Andreana, était trieuse dans les mines d'Aniche.

2. Déposition dactylographiée de Gaston Poulain.

3. « Un jour, la Gestapo est arrivée au domicile de ma mère en hurlant « où est Jean Lutas ? » et en pointant une arme sur la tête du bébé que j'étais. Ma mère ne comprenait rien, d'abord parce qu'elle ignorait tout des activités de mon frère, ensuite parce qu'elle était d'origine sarde maîtrisant très mal la langue française. A ce moment-là, Jean était sur le toit de la maison. » Propos recueillis auprès de Gilbert Lutas à Aniche le 19 février 2016.

4. Le capitaine Robert Verrier sera fusillé par les Allemands au Fort de Seclin le 7 août 1944.

5. Parmi les résistants arrêtés à cette date, l'on peut citer François Bacquet originaire de Guesnain. Gilbert Lutas, frère de Jean, affirme que la présence ce jour-là « d'un Allemand derrière chaque arbre » découle d'une dénonciation.

6. Les vingt martyrs découverts sont : François Bacouet (35 ans) – Pierre Cuvelier (25 ans) – Damien Denys (20 ans) – Arthur Farineau (67 ans) – Léon Farineau (41 ans) – Arthur Farineau (43 ans) – Clémence Farineau-Deker (49 ans) – Gilles Fabry (43 ans) – Jean Gontier (22 ans) – Charles Kulpa (47 ans) – Madeleine Kulpa-Krass (44 ans) – Jean Krupa (21 ans) – Laurent Lecocq (21 ans) – Jean Lutas (22 ans) – Albert Millot (32 ans) – Louis Perrin (51 ans) – Denis Perrin (20 ans) – Albert Pichon (25 ans) – César Preseau (34 ans) – Louis Riquoir (38 ans).

 

MG - 20 février 2016.

Je remercie la famille Lutas et plus particulièrement Gilbert, frère de Jean, et Kévin, neveu de Jean ainsi que le généalogiste Jean-Marie Delval pour leur précieux concours à la réalisation de cet article et pour l'apport de documents.

Jean Lutas, à droite, et deux camarades probablement en 1936.

Jean Lutas, à droite, et deux camarades probablement en 1936.

Portraits de Jean Lutas dans les années 1930.Portraits de Jean Lutas dans les années 1930.Portraits de Jean Lutas dans les années 1930.

Portraits de Jean Lutas dans les années 1930.

De gauche à droite : Jeanine Lutas (soeur de Jean), Yvette Lutas (soeur de Jean), Suzanne Dubois (une amie), Daisy (la fille de Jeanine) et Gilbert Lutas (le frère de Jean) devant l'imprimerie Lanciaux de la rue Barbusse à Aniche au début des années 1950.

De gauche à droite : Jeanine Lutas (soeur de Jean), Yvette Lutas (soeur de Jean), Suzanne Dubois (une amie), Daisy (la fille de Jeanine) et Gilbert Lutas (le frère de Jean) devant l'imprimerie Lanciaux de la rue Barbusse à Aniche au début des années 1950.

Jean Lutas dans le jardin de sa grand-mère. C'est chez elle qu'il cachait les armes parachutées par les FFL. Date non connue.

Jean Lutas dans le jardin de sa grand-mère. C'est chez elle qu'il cachait les armes parachutées par les FFL. Date non connue.

Jean Lutas devant l'école Cachin à Aniche. Date non connue.

Jean Lutas devant l'école Cachin à Aniche. Date non connue.

A gauche, Jean Lutas ; au milieu, Robert Verrier (1908-1944) ; à droite, un résistant encore non identifié.

A gauche, Jean Lutas ; au milieu, Robert Verrier (1908-1944) ; à droite, un résistant encore non identifié.

Acte de décès de Jean Lutas - Document retrouvé par le généalogiste Jean-Marie Delval.

Acte de décès de Jean Lutas - Document retrouvé par le généalogiste Jean-Marie Delval.

Le premier monument des Martyrs du Rôleur édifié par les communes de Marly et de Valenciennes - Crédit photographique : "La Voix du Nord".

Le premier monument des Martyrs du Rôleur édifié par les communes de Marly et de Valenciennes - Crédit photographique : "La Voix du Nord".

Le nouveau monument des Martyrs du Rôleur réalisé en 1980 par les communes de Marly et de Valenciennes.Le nouveau monument des Martyrs du Rôleur réalisé en 1980 par les communes de Marly et de Valenciennes.
Le nouveau monument des Martyrs du Rôleur réalisé en 1980 par les communes de Marly et de Valenciennes.Le nouveau monument des Martyrs du Rôleur réalisé en 1980 par les communes de Marly et de Valenciennes.

Le nouveau monument des Martyrs du Rôleur réalisé en 1980 par les communes de Marly et de Valenciennes.

Jean Lutas (1922-1944), martyr anichois
Caveau provisoire des fusillés (Jules Domisse, Jean Lutas, Louis Chantreau, Jean Rousselin, Robert Verrier, Amédée Deregnaucourt, Edouard Gibour) au cimetière du Sud à Aniche. Les corps étaient placés à l'intérieur dans des tiroirs.

Caveau provisoire des fusillés (Jules Domisse, Jean Lutas, Louis Chantreau, Jean Rousselin, Robert Verrier, Amédée Deregnaucourt, Edouard Gibour) au cimetière du Sud à Aniche. Les corps étaient placés à l'intérieur dans des tiroirs.

Jean Lutas (1922-1944), martyr anichois
Jean Lutas (1922-1944), martyr anichois
Article du "Nord Matin" du début des années 1950.

Article du "Nord Matin" du début des années 1950.

Ensemble des décorations obtenues par Jean Lutas. Photo : MG.

Ensemble des décorations obtenues par Jean Lutas. Photo : MG.

Plaque commémorative apposée près du caveau du Souvenir dans le cimetière du Sud d'Aniche - Photo : 30 décembre 2017.

Plaque commémorative apposée près du caveau du Souvenir dans le cimetière du Sud d'Aniche - Photo : 30 décembre 2017.

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C
Merci pour ce bel l hommage d un jeune homme qui a défendu son pays jusqu à la mort son courage merite le respect et une reconnaissance infinie
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L
Merci pour ce bel hommage MG.
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A
bel article sur un héros anichois que l'on ne doit pas oublier, malheureusement décédé quelques jours avant la libération du valenciennois
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