La gare de Bouchain ne sera-t-elle bientôt plus ?
Le Temps nous égare
Le Temps nous étreint
Le Temps nous est gare
Le Temps nous est train.
Jacques Prévert (1900-1977)
Desservie dès juillet 1858 par l'ancienne ligne Somain-Busigny-Cambrai, la gare de Bouchain n'est pas seulement un témoin historique de l'épopée ferroviaire du Valenciennois, elle est aussi un joyau architectural dont les éléments en briques, pierres, fer et fonte illustrent le savoir-faire des constructeurs de bâtiments industriels du XIXe siècle. Implantée dans la basse-ville, en bordure des remparts d'alors, elle représente une porte d'entrée moderne épargnée par les guerres mondiales.
A une cinquantaine de mètres de ce bâtiment voyageurs, la halle ferroviaire longue de 44 mètres érigée sur le territoire de Neuville-sur-Escaut, complète le site de la gare de Bouchain et rappelle le rôle qu'occupait aussi l'endroit dans l'accompagnement des industries locales dès la Belle Epoque. Si aujourd'hui, plus aucune entreprise ne dispose d'un accès direct aux quais, le fret continue de circuler sur la ligne ferroviaire reliant Cambrai à Valenciennes.
Fermée depuis décembre 2014 en raison de sa vétusté, la gare de Bouchain reste toujours desservie par le TER (Transport Express Regional). 35000 usagers par an empruntent ainsi à Bouchain la ligne Cambrai-Valenciennes en longeant l'un des deux pignons et en contournant la marquise située à l'arrière. Lieu des départs et des séparations, le site reste encore celui des retours et des retrouvailles. Depuis 1858, des millions de voyageurs ont ainsi transité à Bouchain grâce au travail des cheminots. Cette dimension sociale n'est pas non plus à négliger.
Estimant à 980 000 euros la rénovation du bâti, la SNCF propriétaire des lieux annonce dès le début de l'année 2017 sa volonté de se débarrasser de la gare. Ludovic Zientek, maire de Bouchain, déclarera avoir contacté un investisseur dont l'identité ne nous est pas dévoilée qui, pour des raisons financières (le coût de la remise en état et aux normes) et sécuritaires (difficulté pour transformer une gare en maintenant le passage des trains), ne donnera pas suite. Les mois s'écoulent dans le plus grand silence jusqu'au printemps 2018.
La gare de Bouchain : son bâtiment voyageurs et sa halle ferroviaire - Photos : 29 juin et 2 juillet 2018.
Le 23 avril 2018, La Voix du Nord informe que le bâtiment ferroviaire de Bouchain sera détruit d'ici à la fin de l'année. Rapidement, Francis Dudzinski, historien escaudinois spécialisé dans le patrimoine industriel du Denaisis, lance l'alerte, mobilise des défenseurs du patrimoine et envoie un dossier de vingt pages au directeur de la DRAC (Direction régionale aux affaires culturelles) qui l'informera de la venue sur place de deux architectes des Bâtiments de France le 19 juin. Un collectif citoyen intercommunal dépose rapidement sur le site change.org la pétition « Sauvons et valorisons la gare de Bouchain » signée à ce jour par 1200 personnes.
A cela s'ajoutent, précise Francis Dudzinski « des soutiens très actifs de grandes associations nationales et régionales du patrimoine comme la SPPEF (Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, aujourd'hui Sites et Monuments) ou encore de la Fédération Patrimoine-Environnement... L'APMF59 (Association pour la préservation de la mémoire ferroviaire du Nord) ou des personnalités comme les maires de Lieu-Saint-Amand et d'Hordain, ou encore l'ex-sénateur maire de Cambrai Jacques Legendre sont également parmi ceux qui ont publiquement affichés leur soutien et leur opposition totale à la destruction de la gare de Bouchain. »
Néanmoins, la SNCF accélère la cadence en programmant la déconstruction de la gare du 2 au 6 juillet 2018. L'arrêt des trains à Bouchain est ainsi suspendu durant ladite période et les engins nécessaires à la démolition stationnent aussitôt devant la gare. Le lundi 2 juillet dès 6 heures du matin, des citoyens d'Aniche, d'Auberchicourt, de Bouchain, de Hornaing, de Lieu-Saint-Amand et d'autres villes avoisinantes se rencontrent sur place, croyant assister, impuissants, à la destruction de ce joyau patrimonial. Très vite, des propositions d'actions fusent, sous les encouragements des usagers. Une bâche est tendue puis graphée : la réunion spontanée se transforme en mouvement de sauvegarde. Soutenus par les syndicats Sud-Rail, l'UL CGT de Valenciennes et l'UD CGT, ces citoyens souhaitent pouvoir négocier avec Nicolas Bernard, responsable des affaires publiques à la SNCF.
Un moratoire devrait permettre aux architectes des Bâtiments de France de la DRAC d'étudier les possibilités de classement de la bâtisse aux Monuments Historiques et aux associations mobilisées d'étudier également toutes les possibilités de réhabilitation, de rénovation, d'acquisition, de mécénat, de partenariat, etc. Face à la détermination de cet engagement citoyen sans précédent, la SNCF consent à suspendre le démarrage de la déconstruction de la gare et à retirer le matin du 3 juillet la nacelle et les sacs de déchets amiantés situés devant l'édifice ferroviaire. Evidemment, il ne s'agit là que d'un sursis.
Réflexion devant la gare de Bouchain autour de cette problématique : quelle est la destinée de l'objet matériel représentatif de la collectivité et témoin du passé ? - Photos : 30 juin 2018.
Mobilisation citoyenne intercommunale en faveur de la sauvegarde de la gare de Bouchain - Photos : 2 et 3 juillet 2018.
Surpris par le silence et l'absence de Ludovic Zientek, maire de Bouchain lors de cette programmation précipitée de destruction du patrimoine, j'ai sollicité une entrevue pour connaître sa position. Sans rechigner, le premier magistrat de la capitale de l'Ostrevant m'a reçu le 6 juillet et est revenu, durant deux heures, sur cette affaire devenue très tendue en apportant quelques éclaircissements. Le politique sensible à l'échange démocratique et fin stratège s'est montré démonstratif sur bien des points. Retour sur cette rencontre :
MG : Comment doit-on comprendre votre absence lors des deux jours de mobilisation devant la gare de votre commune ?
Ludovic Zientek : L'honnêteté intellectuelle est la meilleure façon pour ne pas créer une tension et pour tenter de trouver une solution au problème. Et pour envisager une solution, l'on doit tenir compte de tous les acteurs concernés par le problème. J'ai été surpris et certainement déçu en lisant les interventions de Francis Dudzinski dans lesquelles il mentionne les soutiens qu'apportent certains élus des environs. Un historien est, je crois, quelqu'un qui essaie de comprendre l'histoire, la vérité. Or, dans l'affaire qui nous préoccupe, aucune démarche n'a été faite par le représentant du collectif « Sauvons la gare », pour me rencontrer. J'aurais souhaité être au courant de la situation, de la mobilisation. Même s'il y avait urgence pour agir sur place, je retiens le non respect de la bienséance, de la hiérarchie et du maire que je suis.
MG : On vous reproche de ne pas vouloir racheter et aménager ce bâtiment ferroviaire car il coûterait – je vous cite - « 500 euros par foyer bouchinois » alors que vous vous réjouissez, paraît-il dans un bulletin municipal de cette année, d'avoir su dégager un million d'euros...
LZ : 1,7 millions d'euros ! Cette somme correspond à l'excédent de fonctionnement capitalisé. En effet, Luc Brouta, premier adjoint et adjoint au Développement Economique, Emploi, Formation, Insertion, Communication, Commerce, Artisanat, Finances, Budget et Personnel a rappelé dans le bulletin n°18 de cet été, que le résultat cumulé 2017, au niveau de la section de fonctionnement s'élève à 1 734 423 euros. Je crois que mon équipe et moi pouvons nous réjouir de cet excédent qui estompe les déficits antérieurs cumulés. Représentant la majorité des électeurs, j'ai une responsabilité vis-à-vis des citoyens, des contribuables qui n'aspirent pas à voir leurs impôts augmenter parce que des passionnés de patrimoine extérieurs à la commune veulent conserver la gare de Bouchain. Loin de moi l'idée de raser le patrimoine, vous le savez. Je vous l'ai dit, il faut tenir compte de tous les acteurs impliqués...
MG : Depuis quand la commune et ses administrés sont-ils au courant de la décision de démolition prise par la SNCF ?
LZ : Au début 2017, la commune est informée de la situation critique de la gare : manque de sécurité, présence de plomb, présence d'amiante, etc. Bref, le bâtiment présente de nombreux risques. Par la suite, la SNCF nous rend compte de son expertise qui chiffre à 980 000 euros le montant de la rénovation du bâtiment. En mars 2018, Stéphane Autin, Directeur Général des Services, annonce à la population bouchinoise le résultat de cette expertise : « la dangerosité (risque d'effondrement du premier étage et amiante) » et « les coûts de remise en état évalués à 980 000 euros auxquels doivent s'ajouter les frais d'équipement. » (Les Nouvelles de Bouchain, édition n°18, mai-juin, juillet 2018). La SNCF veut s'assurer de la pérennité des trains, du trafic voyageur de la gare de Bouchain. En tant que maire, je dois veiller à la sécurité des gens.
Si un investisseur était intéressé, la SNCF consentirait à vendre le bâti pour un euro symbolique. Malheureusement, les investisseurs que j'ai contactés trouvent que les travaux de consolidation sont trop importants. Aujourd'hui, je demande auprès de la SNCF la garantie de maintenir l'arrêt du train à Bouchain. Quant au bâtiment, nous attendons tous le rapport de la DRAC qui pourrait arriver d'ici quelques semaines. Son avis sur l’intérêt patrimonial de la gare, au-delà de son ancienneté qui ne constitue pas un facteur suffisant pour garder ou pas une telle construction, sera déterminant.
Texte et photos : MG, 30 juin-7 juillet 2018 - Au collectif intercommunal Bouchain-Hordain-Lieu-Saint-Amand et environs "Sauvons et valorisons la gare de Bouchain".