Le rappeur anichois Salem MC dévoile son point de fuite
Baignant dans l'univers de la culture hip-hop depuis l'âge de 12 ans, l'Anichois Salem MC alias Michaël Vilette s'est essayé au scratching1, à la danse, au graff et à l'écriture avant de rejoindre ses potes d'enfance pour former le groupe L'Alarme à l'oeil et de multiplier les apparitions scéniques et radiophoniques dans la région. Dix ans après le maxi 665 marches nous séparent, le jeune rappeur revient au devant de l'actualité musicale avec un CD de 15 titres produit, mixé et masterisé par Chami. Tiré à 500 exemplaires, l'album intitulé Mon point de fuite jette un pont entre une planète qui ne tourne plus rond et les préoccupations du quotidien.
L'image de la jaquette montrant le pont à traverser pour se rendre au Machu Picchu – ancienne cité inca au Pérou – est une invitation à franchir l'étape de la prise de conscience et de l'engagement citoyen dans un monde menacé, presque à l'état de ruines. Dénonçant tantôt de manière poétique, tantôt de manière virulente les inégalités sociales et les problèmes environnementaux, le rap de Salem se veut militant sans pour autant avoir une portée partisane. Les paroles du rappeur sont le vecteur d'une pensée consciente des enjeux actuels. Rap militant, rap politique ou rap conscient, le style de Salem se caractérise par un état d'esprit qui aborde des thématiques et soulève des problématiques sociétales pour lesquelles seuls les actes peuvent répondre.
Dénonciateur et engagé, Salem ne privilégie pas le fond sur la forme. Amoureux de la langue française, son écriture est truffée de références tant sociologiques que littéraires. Sa prose comme son flow2 prennent aux tripes comme une œuvre d'anthologie touche le lecteur sensible à la syntaxe, à la prosodie, aux procédés stylistiques. Loin du cliché qui n'autorise la respectabilité qu'à l'écrivain, les vers chantés de Salem trouveront une pleine légitimité auprès de ceux qui se montrent attentifs à l'exigence textuelle mêlant langue savante et argot, à la scansion, aux sonorités, aux métaphores et « métagores », au flux et punchlines3. Salem sait que sur un morceau le temps est compté. En trois ou quatre minutes, il faut donc discourir intelligiblement, revendiquer avec efficacité, séduire et persuader avec juste mesure.
Salem MC lors du Street rap organisé par Soleil Levant Réalisation dans le quartier du Champ de la Nation à Aniche - Photos : 20 octobre 2018.
Habilement scratchés par Dj Bid'X et calés sur un beat4 travaillé avec Chami, Sek-Mily et Daouda, les mots sensés et authentiques de Salem parfois chantés en duo avec Dharani Spleen MC ou accompagnés à la guitare par Paulo condensent les maux qui nous aliènent à un système politique, économique, social défaillant. Sorti ce 9 mai, l'album Mon point de fuite est d'emblée la révélation musicale et littéraire locale de ce printemps 2019. « La guerre des nerfs », deuxième titre de l'opus fait déjà l'objet d'un clip tourné et monté par l'association anichoise Soleil Levant Réalisation ; le très attendu clip de « Maman », morceau à dimension écologique, réalisé par Studio Dess et R Drone Expertise sera diffusé dès le 16 mai 2019.
1. Scratching : procédé consistant à modifier manuellement la vitesse de lecture d'un disque vinyle sous une tête de lecture de façon à produire un effet sonore spécial.
2. Flow : manière de poser la voix sur l'instrumental ; flux de paroles.
3. Punchline : phrase qui "casse", sentence choc.
4. Beat : rythme.
Interview :
MG : Salut Salem. Voilà un bail que tu touches des platines et que tu écris. Pourrais-tu revenir rapidement sur ton parcours ?
Salem MC : Oui, j'ai découvert la culture rap ado, à un âge où l'on écrit des poèmes. A 17 ans, j'ai commencé à écrire avec un pote une nuit. A 6 heures du mat', un titre était né. Notre premier groupe s'appelait L'Alarme à l'oeil. On est allé dans des émissions de radios indépendantes locales où on nous a refilé quelques filons... On a fait des concerts dans le cadre de festivals comme celui de Somain, par exemple. On s'est aussi produit à Douai, Valenciennes, Arras, Maubeuge, Lille, Reims, etc. On réalisait des mixtapes, des featurings. Tous les dimanches soirs, on avait un créneau à la radio PFM d'Arras... En 2008, j'ai voulu poursuivre l'aventure en solo... la suite, tu la connais.
MG : En 2009, tu sors un maxi 10 titres qui témoigne de ton engouement pour le rap français des années 1990. L'album Mon point de fuite convoque, lui aussi, cette époque. Quel regard portes-tu sur le rap d'aujourd'hui ?
Salem MC : seule l'instru constructive m'intéresse. Or, aujourd'hui, en cherchant à faire le plus gros buzz, il n'y a plus de créativité. Il est important de transmettre un message mais les rappeurs actuels se préoccupent de se faire du fric, ce qui décrédibilise la musique. Les gens regardent d'abord le nombre de vues affichées sur le net avant d'écouter un morceau.
Si j'aborde des sujets précis dans ce que je fais, je ne renonce pas au free style. Le rap est une musique propice à la liberté d'expression. Rien à voir avec le monde de la variété !
MG : Mon point de fuite n'est-ce pas ton point de vue sur ce qui nous entoure ?
Salem MC : Les causes à défendre ou à dénoncer ne manquent pas : l'écologie, l'impact du capitalisme sur nos sociétés, les guerres d'intérêt ou de religion, la pauvreté... L'actualité me fournit évidemment des sujets d'écriture. Au Yémen, des enfants meurent et personne n'en parle. Des gens fuient nos bombes, nos missiles et on ne veut pas d'eux chez nous. On est tous fautifs de ce système. Ce sont tous ces thèmes politiques que j'aborde dans mon album. J'essaie d'agir à ma façon en sortant des CD. Mes CD sont mes armes.
MG : L'indignation est générale, à commencer par celle des Gilets jaunes...
Salem MC : Gilet jaune, c'est une étiquette. Je vois plutôt un peuple révolté qui crée une résistance, tapent sur les symboles du capitalisme. Leurs cibles sont bien précises et la révolte est humaine. Pour la première fois dans l'histoire, le peuple tient tête. C'est pour ça que le gouvernement cherche à décrédibiliser l'étiquette « Gilet jaune ». Le 16 mars, j'ai rencontré sur les Elysées un couple d'Alsaciens qui déplorait l'absence de la jeunesse. Quand on y regarde de plus près, ce sont les retraités qui bougent.
MG : Tes propos ne sont pas seulement dénonciateurs d'un malaise social. Tu te montres également très sensible à la cause environnementale au travers de tes textes et dans la vie quotidienne.
Salem MC : Je gueule dans un micro, certes, mais j'essaie aussi d'agir. On a atteint les limites d'un non-retour. A cause de notre pollution, à cause des industries, à cause du suremballage plastique, des espèces animales disparaissent : abeilles, vers de terre, mammifères, coraux... Je respecte la nature en ne jetant rien à terre, en coupant l'eau lorsque je me brosse les dents. Je ne sais pas si ces petites actions sont utiles. Il n'empêche que certains voient en moi un anarchiste, un révolutionnaire comme ils disent. Une chose est sûre : je ne cautionne pas le régime dans lequel on vit. J'apprends récemment que pour rendre l'eau du robinet plus claire, on y met de l'aluminium. La voiture électrique, une voiture écologique ? Foutaise car pour produire cette énergie, il faut des centrales nucléaires. Et on en fait quoi des batteries obsolètes ? Je me pose plein de questions en regardant le monde.
MG : Peut-on revenir sur l'écriture ? Celle des autres t'inspire-t-elle ?
Salem MC : J'aime beaucoup l'oeuvre de Bernard Werber, notamment Les Thanatonautes. J'ai pris également du plaisir à lire Paulo Coelho pour sa liberté et son ouverture d'esprit. Leurs écrits m'ont influencé mais, j'avoue que lorsque je rédige un texte, tout part du musical. Quand le thème est là, je cherche la rime, la métaphore, la signification exacte des mots que j'utilise. Peut-être qu'un jour mes textes figureront dans un recueil.
MG : Qu'attends-tu à présent ?
Salem MC : J'attends des scènes. A ce propos, je t'informe que je participerai au festival de « L'Humain d'abord ! » à Avion qui aura lieu les 7-8-9 juin 2019. Il y aura Manau, les Gipsy Kings et bien d'autres encore. J'aimerais aussi revenir dans des émissions de radio... Bref, j'attends des ouvertures.
Texte et propos recueillis : MG – 9 mai 2019.
L'album 15 titres de Salem MC, Mon point de fuite. est en vente (10 euros) chez Bienv'nu chez Nat (56 rue Bernonville, 59165 Auberchicourt), à La Pyramide (81 rue Henri-Barbusse, 59580 Aniche), à la MJC - Espace Helios ( 43 rue du Maréchal Leclerc, 59552 Lambres-Lez-Douai), à la MJC - Maison pour tous (215 rue d'Arleux, 59500 Douai)...