Ault : à la Villa Verveine, art à tous les étages
En contemplant les falaises crayeuses de ce village de moins de 2000 âmes que les Picards appellent Él Bourq-éd-Eut (80460), on songe d’emblée à Victor Hugo qui, lors de sa venue le 8 septembre 1837, les décrit comme suit dans une lettre adressée à son épouse Adèle : « Cet endroit est beau. Je ne pouvais m’en arracher. C’est là qu’on voit poindre et monter cette haute falaise qui mure la Normandie, qui commence au Bourg-d’Ault, s’échancre à peine pour le Tréport, pour Dieppe, pour Saint-Valery-en-Caux, pour Fécamp, où elle atteint son faîte culminant, pour Étretat où elle se sculpte en ogives colossales, et va expirer au Havre, au point où s’évase cet immense clairon que fait la Seine en se dégorgeant dans la mer. »
Ault et ses falaises.
Sur ces hauteurs de roches calcaires aux accidents siliceux se dresse, 21 rue Saint-Valéry, une ancienne maison à la façade bigarrée. Cette villa couverte de peintures et de mosaïques, de couleurs et de textes, de formes et d’informations, nous la connaissons. Elle est comme un temple dédié à la création marginale et spontanée, à la libre expression, aux audacieuses visions. Habitée par Caroline Dahyot, plasticienne à l’hyperstimulabilité imaginative, la Villa Verveine est une œuvre d’art total.
La Villa Verveine : de l'extérieur à l'intérieur.
Cet après-midi, la porte est entrouverte. Nous nous engageons dans le couloir d’entrée au bout duquel un escalier laisse entrevoir la silhouette haut perchée de l’artiste et propriétaire du lieu. Caroline descend agilement et vient à notre rencontre. Elle n’est pas seule ce jour. Elle ne l’était pas les deux jours précédents et ne le sera pas non plus les trois suivants notre départ.
Du 9 au 14 août, la sublime bohème s’entoure d’une brodeuse, d’une céramiste, d’une conteuse et de trois dessinateurs pour une exposition collective d’art singulier. Au coeur du monde imaginaire de Caroline Dahyot, Nadja Berruyer, Sandrine Lepelletier, Lydie dit Louna Vox, Dimitri Susin, Franck (Palmer) et François Jauvion livrent au regard des visiteurs leur perception du monde, leurs obsessions, leur passion teintée de naïveté et de poésie. Dans chacune des pièces de la haute et étroite demeure, les lignes organiques s’entremêlent, les couleurs s’interpénètrent et les formes dialoguent entre elles, autour de nous.
L’occupation protéiforme de la Villa Verveine par ces « amateurs professionnels » comme disait Asger Jorn - l'un des fondateurs du mouvement CoBrA et de l'Internationale situationniste -, révèle ce que la critique d’art ne peut classer. Ici, tout est hors norme, direct, expressif, naïf. L’esprit vagabonde de haut en bas, de gauche à droite, sur le sol, les lits, les objets, les murs, les plafonds. La pensée s’abandonne sans se perdre pour autant dans ce génial tumulte orchestré par de dilettantes créateurs.
Non loin des céramiques enfumées aux allures océaniennes de Sandrine Lepelletier, dans le jardin qui domine la mer, Louna Vox dévoile son théâtre d'images peintes sur papier – kamishibaï, comme on dit en japonais – posé sur le vélo qui l’a amenée de Lyon à Ault. Au rez-de-chaussée, face à une large fenêtre balayée par les embruns, l’auteur du remarquable Imagier singulier préfacé par Michel Thévoz – historien de l’art nommé par Jean Dubuffet directeur de la Collection d’Art Brut de Lausanne - François Jauvion dessine, canette à la main. A ses côtés, Nadja Berruyer exhibe ses passions : la céramique et la broderie. A l’étage, les gestes graphiques de Franck Palmer et de Dimitri Susin soulignent affects et intellect.
La Villa Verveine, empreinte des rêveries de la femme-enfant Caroline Dahyot, se visite durant près d’une semaine comme on ouvre et lit un conte de fées. Là, si le temps semble arrêté, les histoires se poursuivent au travers d’une correspondance sans limite, hors système et libre de toute interprétation, de traits, de formes, de couleurs, d’émotions et de sensations.
Texte et photos : MG - 11 août 2022.
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v=eyuj2W5Mh3c - https://youtu.be/angoHiVMwDQ
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Les dessins remplis d’amour de Caroline Dayot in François Jauvion, "L’Imagier singulier", Editions Lelivredart, Galerie Hervé Courtaigne, juin 2020, p. 104.