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Jerzy Grabarczyk, calier à bord du BB Médoc A612

Publié le par MG

Le matelot Jerzy Grabarczyk sur le pont du BB Médoc A612 au large de Mururoa - Automne 1970.

Le matelot Jerzy Grabarczyk sur le pont du BB Médoc A612 au large de Mururoa - Automne 1970.

A l’instar des jeunes hommes français âgés de moins 25 ans, mon père Jerzy Grabarczyk (né le 25 août 1951), doit effectuer un service national d’une durée qui, en juillet 1970, est ramenée à un an. Incorporé le 2 juin 1970 au Centre de Formation Maritime d’Hourtin (33990) dans le département de la Gironde, il y reçoit un enseignement militaire avant de connaître son affectation définitive en tant que marin.

Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.
Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.

Centre de Formation Maritime d’Hourtin - Juin-juillet 1970.

A l’issue de cette formation sur la base aéronavale, il bénéficie de quelques jours de permission lui permettant de regagner Abscon (59215) où vivent ses parents et Roost-Warendin (59286) où l’attend sa future femme, Jocelyne Lefebvre (née le 17 mai 1948). Durant ces courtes retrouvailles, il pose en uniforme – preuve de son « passage sous les drapeaux » - pour et aux côtés de sa famille.

Abscon, retour de classes - Août 1970.Abscon, retour de classes - Août 1970.

Abscon, retour de classes - Août 1970.

Roost-Warendin, retour de classes - Août 1970.

Roost-Warendin, retour de classes - Août 1970.

Escaudain, studio photo - Août 1970.Escaudain, studio photo - Août 1970.

Escaudain, studio photo - Août 1970.

Suite à la réception d’un télégramme l’obligeant à se rendre à l’aéroport de Paris, il embarque dans l’avion qui l’amène, d’abord à Papeete sur l'île de Tahiti le 26 ou 27 août 1970 où il y reste une semaine, puis à Mururoa. C’est sur cet atoll de l’archipel des Tuamotu situé en Polynésie française qu’il apprend son affectation à bord du Bâtiment Base Médoc A612, long de 113,60 mètres, pesant à pleine charge 5300 tonnes et d’une puissance de 4600 CV. Voguant à la vitesse de 15 nœuds, il porte à son bord 123 marins dont huit officiers.

Tahiti - Fin août 1970.

Tahiti - Fin août 1970.

Dès 1960, la France se lance dans l’expérience atomique au travers de 17 essais menés dans le désert du Sahara algérien. L’indépendance acquise par l’Algérie en 1962 conduit le gouvernement français à poursuivre secrètement le développement de la bombe A en Polynésie, « territoire d’outre-taire ».

Les paquebots, qui desservaient la métropole et les départements algériens, étant devenus inutiles, sont rachetés par la Marine nationale afin de déplacer et de loger sur les lieux d’expérimentations ingénieurs et techniciens du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Parmi ces hôtels flottants, le Sidi Ferruch, cargo mixte ayant transporté les troupes d’Afrique du Nord mais aussi des milliers de moutons, rebaptisé pour les besoins militaires BB Médoc A 612 !

Jerzy Grabarczyk, calier à bord du BB Médoc A612
Jerzy Grabarczyk, calier à bord du BB Médoc A612

Teugue prolongée, logements aménagés et coque repeinte en blanc à Brest en 1964, le nouveau Médoc est aussi armé en avril 1965 avant de quitter le port pour le Pacifique le 5 juin de la même année. Dix jours plus tard, il est le second bâtiment base arrimé au Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP), qui programmera, entre 1966 et 1974, 46 essais aériens à Mururoa et à Fangataufa. De 1966 et 1996, ce ne sont pas moins de 193 explosions atmosphériques puis souterraines qui affecteront durablement l’environnement de cet archipel en raison de fortes retombées de particules radioactives.

Les archives nous apprennent que le bâtiment Médoc est à Bordeaux pour carénage entre le 6 juillet 1967 et le 8 janvier 1968. On le retrouve à Papeete le 24 février 1968 avant d’approcher à nouveau successivement Fangataufa et Mururoa, lors des nombreux tirs atomiques. Grace à ce type de bateau – il y en aura au moins 100 -, il revient à la Marine nationale d’assurer toute la logistique, autrement dit de garantir le débarquement et le ravitaillement de matériels lourds entre la métropole et l’archipel comme entre les îles nécessaires aux campagnes de tirs de bombes H.

Pour le Médoc, il est décidé d’y loger un maximum de personnel, qui évacuera le site avant un tir et y reviendra aussitôt après sans entraîner de retards. Le navire n’est donc pas amarré en permanence à quai. En effet, non seulement il est écarté de la zone avant les tirs - un système d’arrosage par tuyautage est alors disposé sur le quai, en attendant le retour du bâtiment après les tirs -, mais il fait de temps à autre des voyages d’agrément dans les îles Marquises, pour le repos des marins, ou alors il passe en carénage à Papeete. Des remorqueurs le désembossent selon les besoins, ou l’aident durant les manoeuvres lorsque les conditions météo ne sont pas favorables.

Coupe datant de 1968 et vues du BB Médoc A612 dans le Pacifique Sud datant de 1969-1970.
Coupe datant de 1968 et vues du BB Médoc A612 dans le Pacifique Sud datant de 1969-1970.
Coupe datant de 1968 et vues du BB Médoc A612 dans le Pacifique Sud datant de 1969-1970.
Coupe datant de 1968 et vues du BB Médoc A612 dans le Pacifique Sud datant de 1969-1970.
Coupe datant de 1968 et vues du BB Médoc A612 dans le Pacifique Sud datant de 1969-1970.
Coupe datant de 1968 et vues du BB Médoc A612 dans le Pacifique Sud datant de 1969-1970.

Coupe datant de 1968 et vues du BB Médoc A612 dans le Pacifique Sud datant de 1969-1970.

Tandis que se poursuivent les opérations aéronavales auréolées de nuages atomiques affolant les compteurs Geiger et conduisant les marins à se doucher constamment au « Tahiti louche » et à détruire leurs effets, les jeunes appelés, insouciants, exécutent les tâches demandées ou se baignent dans les lagons. Le calier Jerzy, dit Georges, s’attache durant son service à la vérification des machines de la soute permettant la navigation et les manœuvres d’appareillage. Les semaines passent ainsi sans savoir vraiment si les champignons, qui poussent sur l’océan, sont toxiques ou non.

Propulsé par deux groupes de turbines à engrenages Rateau, le Médoc sillonne paisiblement sur un large océan, de lagon en lagon, entre les miettes de terre sur lesquelles résident parfois des populations se pensant à l’abri du pire. Les deux chaudières sont régulièrement entretenues pour qu’en cas de catastrophe reconnue, la marine française puisse évacuer, à son rythme, les autochtones que menacent d’éventuelles radiations. Le gouvernement ne tolérera aucune vague.

 

Le calier Jerzy Grabarczyk à bord du BB Médoc A612 - Automne 1970.Le calier Jerzy Grabarczyk à bord du BB Médoc A612 - Automne 1970.

Le calier Jerzy Grabarczyk à bord du BB Médoc A612 - Automne 1970.

L'ouvrier Jerzy de l’équipe du premier maître Fabre, est ravi d’avoir pu aménager sur son temps libre et avec ses camarades la salle de sport afin de répéter les morceaux de musique qui se joueront pour le concert de Noël 1970. Guitare électrique en main, il sait que sa prestation retentira à bord bien plus qu’une explosion thermonucléaire. Il est jeune et insouciant : l’avenir lui appartient, pense-t-il.

A bord du BB Médoc A612 - Mururoa, Noël 1970.

A bord du BB Médoc A612 - Mururoa, Noël 1970.

Après avoir passé cinq mois et 29 jours à bord du BB Médoc A612, le calier Jerzy Grabarczyk doit mettre pied à terre définitivement et achever son service en métropole. Sa compagne étant enceinte, il ne peut rester aussi loin d’elle. En février 1971, il est affecté au Centre Automobile Principal (CAP) du Fort Lamalgue construit en1792 sur une hauteur proche de Toulon. Là, se trouve aussi, depuis 1951, le bureau maritime des matricules et, depuis 1957, le centre de gestion des réserves. La quille approche… Un nouveau rôle l’attend, celui de père de famille.

Quelques années plus tard, il se souviendra de ce que le médecin de bord du BB Médoc lui avait dit : « aucun des marins de ce bateau n’aura de filles. » Aujourd’hui, Jerzy et Jocelyne sont parents de quatre garçons !

Désarmé le 5 avril 1972, le Bâtiment Base Médoc A612 devient la coque Q509 livrée aux canons de l’aviso-escorteur Doudart de Lagrée. En effet, le 27 octobre 1972, à 30 nautiques de l’île de Moorea, 33 % des 127 coups de 100 mm tirés à trois distances différentes ont raison du Médoc. Aujourd’hui, il sombre au fond du Pacifique Sud et sert de récif artificiel à la faune et la flore sous-marine.

Texte : MG - 25 octobre 2023.

Jerzy Grabarczyk, calier à bord du BB Médoc A612
Jerzy Grabarczyk, calier à bord du BB Médoc A612

La destruction du BB Médoc A162 est évoquée à partir de la 19e minute et quarante secondes.

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