José Herbert : l’instituteur impertinent qui prend les enfants par la main
Longtemps coincé au milieu d'une longue pile de livres achetés ou offerts en attente d’être lus, l’ouvrage de José Herbert, L’instituteur impertinent paru en 2019 aux éditions Amanite méritait que je l’extirpe enfin de son profond sommeil pour en découvrir le contenu. Nous possédons tous des livres que nous ne parvenons pas à ouvrir immédiatement. Dans mon bureau, beaucoup s’impatientent de se réveiller pour mieux se révéler. Pourtant, j’aime lire. Je lis d’ailleurs énormément mais par phase. Aussi, quand vient le moment de quitter la lecture nécessité découlant de ma pratique professionnelle pour me plonger dans la lecture plaisir, je deviens alors un avaleur boulimique de romans, de poésies, d’essais et de pièces de théâtre.
Pourquoi ai-je attendu si longtemps avant de dévorer les souvenirs de cet instit’ aujourd’hui retraité ? Est-ce parce que l’auteur rappelle au souvenir une activité qui m’occupe et me préoccupe au quotidien ? C’est vrai, il est toujours difficile pour le prof que je suis de lire un film ou un livre traitant de la misérable éducation nationale qu’on appelait, il y a fort fort longtemps, l’instruction publique. Ou bien, est-ce la crainte de parcourir un récit retraçant avec nostalgie une époque révolue ? Je cherche toujours, mon cher José, des prétextes qui justifieraient la tardive découverte de votre impertinente expérience relatée – je l’avoue – avec sensibilité, humour et intelligence.
José Herbert, L'instituteur impertinent, Ed. Amanite, 2019, quatrième de couverture et dédicace.
Moi-même hussard noir de la Ve République, c’est donc « à cheval ! », comme vous dîtes, que je me suis lancé ce week-end dans votre histoire à la fois réaliste et pittoresque. Dès les premières pages qui dessinent les contours de votre tout petit village aux vieilles pierres du Cambrésis vers le milieu des années 1970, mon esprit vagabond a été happé par votre maîtrise de la langue française et votre habileté à jouer avec les mots. Descriptions à la Bruno Dumont de villageois grotesques rencontrés au café d’Agnès, regards critiques sur la bouffe industrielle et les bonbons chimiques qu’ingurgitent avec insouciance les enfants peinant à marcher, dérision et douce moquerie de notre triste société et de l’école communale ancrée dans les traditions, dépourvue de moyens et dérivant au gré de flots médiatiques qui discréditent toujours plus le plus beau métier du monde : vos truculentes métaphores et vos antiphrases sont un régal pour l’esprit.
Entre les effluves apaisants des tilleuls en fleur bordant la place-cour de votre école à Wambaix et les épisodes neigeux alarmants qui font la joie des petiots, les portraits que vous dressez du sérieux et rassurant garde-champêtre Guislain, du maire et de son phrasé du terroir, de vos chères têtes blondes, des mamans poules et des papas qui savent TOUT grâce à la télé sur la médecine et les finances sont désopilants. Je ris encore en pensant à votre proposition de « faire voter une loi qui permettrait aux contribuables de payer leurs impôts par grattage. » Mais vous n’êtes pas ministre des finances, vous êtes beaucoup mieux car plus important, je crois, qu’un professionnel de la politique !
José Herbert lors de la 7e édition de la Fête de l'écriture organisée par l'association SINergies dans la salle Rony-Coutteure de Sin-le-Noble - Photos : MG, 14 avril 2018.
C’est au travers de vos expériences de secrétaire de mairie et surtout de vos missions de professeur-directeur d’école rurale à deux classes que le lecteur apprend à vous connaître. C’est votre rigueur mêlée à la grande liberté accordée, entretenue, souhaitée au quotidien qui singularise le garant de l’autorité et le maître des apprentissages que vous êtes. De votre rituel matinal « Qui a quelque chose à dire ? » à la dictée saturnale, de vos diverses activités proposées pour pénétrer les mystères des chiffres et faciliter la compréhension des lettres, pour initier à la natation, à la course, à la musique comme pour mettre en œuvre des démarches scientifiques, on vous suit pas-à-pas dans la classe, dans les rues tout en ramassant bien sûr les déchets, dans la nature, à la piscine, sur un voilier et lors de rencontres inter-générationnelles au club des aînés.
Les méthodes pédagogiques que vous déployez sans relâche sont toutes fondées sur l’écoute, sur ces choses que les jeunes apprenants ont à dire à l’enseignant. Car c’est bien à partir de ces confessions en milieu scolaire nourries par les terrifiantes absurdités transmises par la « téléconnerie » que vous permettez aux élèves - enfants-rois à la maison qui tirent profit de tout ou ne s’intéressent à rien - d’assimiler les notions de l’enseignement moral et civique, de développer leur esprit critique et d’exalter leurs mérites physiques lorsqu’ils glissent en rollers ou participent à des tournois de hockey à Cambrai.
José Herbert lors du 8e Salon de la peinture, de l’artisanat et du livre organisé dans la salle Colette-Besson par la municipalité d'Auberchicourt - Photos : MG, 20 avril 2024.
Les progressions didactiques permettant le développement de compétences transversales, l’organisation de sorties pédagogiques sécures, la mise en place d’une correspondance scolaire et d’actions humanitaires avec des pays d’Afrique, la longue préparation de la fête de fin d’année – corvée qui aidera à financer les activités et les voyages de l’année scolaire suivante – impliquent une lourde et indéniable responsabilité qu’il me plaît aussi à rappeler auprès de ceux qui ne verraient en l’enseignant qu’un oisif, certes diplômé, mais continuellement râleur.
Même en tant que secrétaire de mairie, vos actions sociales et votre indéfectible lutte contre le « racisme anti-pauvre » présentent un grand intérêt qui ne saurait me laisser insensible. Votre accueil toujours bienveillant – pardonnez-moi ce vocable exhausteur de saveur qui généralement m’insupporte – transparaît encore dans votre vie privée, notamment lorsque vous receviez après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl des enfants ukrainiens « malheureux, exploités, battus et violés » avec qui vous avez élaboré un espéranto familial pour que tous puissent se faire entendre et comprendre à la maison.
En définitive, l’acuité de votre regard sur ce monde en pleine déliquescence qui a « le droit de tout et le devoir de rien », votre cinglante auto-dérision ainsi que votre grande finesse pour restituer en détail votre longue et riche carrière contribuent, je le pense sincèrement, à faire prochainement de votre roman-témoignage une œuvre classique.
Texte : MG - 21 décembre 2024.