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Aniche : l’exécution testamentaire de Marie, fille de Gérard Biot, en mai 1274

Publié le par MG

Exécution testamentaire de Marie, fille de Gérard d'Aniche, mai 1274 - Lille, Archives départementales du Nord, fonds de l’Abbaye des Prés de Douai, 30 H 17 pièce 262.

Exécution testamentaire de Marie, fille de Gérard d'Aniche, mai 1274 - Lille, Archives départementales du Nord, fonds de l’Abbaye des Prés de Douai, 30 H 17 pièce 262.

Conservé aux Archives départementales du Nord, le document manuscrit qui nous occupe date de mai 1274. Il fait mention d’une disposition prise dans un testament par une Anichoise prénommée Marie, fille de Gérard Biot. Ce legs s’opérant au décès de la testatrice désignait bénéficiaire de trois razières1 le béguinage de Champfleury de Douai.

Entre 1245 et 1355, on recensait quinze béguinages à Douai y compris celui de Champfleury et son hôpital. Ce béguinage prolongeait, sur la rive gauche de la Scarpe, l’église Saint-Albin aujourd’hui détruite et hébergea jusqu’à cent béguines. On désignait par béguine une femme, veuve ou célibataire, qui vivait en communauté sans avoir prononcé de vœux. Elle n’était pas cloîtrée. Au contraire, elle pouvait rester propriétaire de ses biens, vivre de son travail ou de ses rentes. A Douai, les béguines de Champfleury effectuaient surtout des activités... agricoles.

Ce document écrit dans une langue dite picarde mêlant français et patois et traduit par le linguiste Michel Meurdesoif se lit comme suit : « Que tous ceux qui verront cet écrit ou en entendront parler sachent que Marie, qui fut la fille de Gérard Biot d’Aniche, a, par testament, donné pour l’amour de Dieu et en aumône, maintenant au béguinage de Champfleury de Douai trois razières de terre, environ, qu’elle détient au terroir d’Aniche et qui doivent 12 deniers blancs à Madame la comtesse2 à payer dans un an à la Saint-Rémi. Marie veut que ce legs soit ferme et définitif, pour toujours et irrévocablement, et elle veut aussi que si quelqu’un allait à l’encontre de cette aumône, le béguinage garde en toute quiétude les trois razières et reçoive tous les fruits et bénéfices de cette terre jusqu’à ce que celui qui contesterait cette aumône l’aurait rachetée au prix de 26 livres de Paris sans compter les fruits et bénéfices que le béguinage recevrait ou aurait reçus des trois razières et ces 26 livres, Marie les donne au béguinage de Champfleury pour l’amour de Dieu et en aumône. Messire Jean, prêtre d’Aniche, Gauthier d’Erchin, fils de Huon, Mahieu Facon, Roger Hourier, Jean de Bruille, Jean le Jeune, Jean Ségane, Sohier le Guffroy et pour que tout soit ferme et définitif, moi, Jean, prêtre d’Aniche, ai scellé cet écrit de mon propre sceau à la requête de Marie. Fait au cimetière d’Aniche en l’an 1274 de l’incarnation de notre Seigneur au mois de mai. »

Aniche : l’exécution testamentaire de Marie, fille de Gérard Biot, en mai 1274

A cette époque, Aniche était un village de quelques centaines d’âmes situé autour d’une église dédiée à Saint-Martin4, non loin de la route – actuelle D645 - qui relie toujours Douai à Valenciennes. Au-delà de ces masures basses de torchis, aux toits de chaume avec jardins clos de haies, s’étendait un vaste et riche terroir convoité par les marchands de grains laïques et ecclésiastiques. Les abbayes de Marchiennes, d’Anchin, de Flines, de Crespin, de Cysoing et de Vicoigne possédaient de nombreuses terres à Aniche sur lesquelles les serfs cultivaient par arroyage5 le blé, l’orge de printemps, le seigle, l’avoine, les vesces, les fèves, les pois, le lin et le chanvre.

Quand la moisson était terminée, serfs et francs hommes6 jouissaient jusqu’à la Saint-Rémi des droits de glane et d’éteule, c’est-à-dire du droit de faucher la tige des plantes céréalières (paille) pour couvrir les bâtisses, servir de litière pour les animaux, rembourrer les paillasses ou allumer les feux de bois. Pour pouvoir conserver certains droits d’usage face à la puissance des seigneurs, les paysans d’Aniche commencèrent à s’organiser en communauté. Ainsi, obtinrent-ils quelques garanties par reconnaissance écrite d’un droit coutumier.

Un mayeur comme Jean Pas Sage et des échevins, tels Robert le Cordonnier, Colart Houset, Jean le Carpentier, Jean le Lowi, Jean le Mesurier, Jean le Mercier, Jean Bugnicourt ou Watier d’Erchin en 1277, étaient nommés par le comte pour veiller au respect et à l’application de cette loi coutumière.

Détenir une terre comme ce fut le cas pour Marie, fille de Gérard Biot, ne signifiait pas être noble car ces parcelles étaient plutôt des locations tenues en main ferme contre une redevance versée en nature ou en argent au comte le jour de la Saint-Rémi. Afin de garantir une bonne transmission de ses terres et de s’assurer un dernier acte satisfactoire, Marie préféra-t-elle gratifier Dieu en léguant trois razières au béguinage de Champfleury de Douai. Et, comme voulait l’usage, ce fut après son inhumation dans le cimetière d’Aniche que le prêtre scella la dernière volonté de la défunte.

Texte : MG – 5 novembre 2023.

1. Une razière ou rasière est mesure agraire correspondant à la surface qu'on peut ensemencer avec un certain volume de grains, variant de 20,83 ares à 53,20 ares.

2. Marguerite de Constantinople dite la Noire (1202-1280), fille de Bauduin de Constantinople (1171-1205), comtesse de Flandre et du Hainaut de 1244 à 1280 ainsi que Dame de Beaumont (Hainaut).

3. La fête de Rémi (ca 440- ca 533), 15e évêque de Reims avait été fixée au 1er octobre, anniversaire d'une translation de reliques, et elle figura longtemps à cette date au calendrier romain ; actuellement, elle est célébrée en France le 15 janvier.

4. Une dédicace de l’église d’Aniche à Saint-Martin (316-397), légionnaire romain devenu évêque de Tours en 371, permet de situer la fondation de l’édifice entre 400 et 630.

5. L’arroyage est une technique agricole qui consistait à laisser la terre en repos une année sur trois.

6. Le franc homme possédait des terres non fieffées (alleux) c’est-à-dire non tenues par un seigneur.

Evocation du testament de Marie, fille de Gérard Biot d'Aniche à partir de la 15e minute et 22 secondes.

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