Les dérives républicaines au nom de la préférence nationale selon Gérard Noiriel
Gérard Noiriel, "Préférence nationale - Leçon d'histoire à l'usage des contemporains", Ed. Gallimard, collection Tracts n°55, 14 mars 2024.
Le « problème » de l’immigration est davantage au coeur de l’actualité que ne le sont les questions liées aux inégalités et injustices qui frappent les classes populaires et les professions libérales. La loi « Asile et immigration » votée le 19 décembre 2023 et le score historique du Rassemblement National aux Européennes 2024 témoignent largement d’une « fausse conscience » chez les travailleurs alimentée par les instruments culturels (école, médias…) et politiciens que détient la grande bourgeoisie.
Dans son ouvrage Préférence nationale – Leçon d’histoire à l’usage des contemporains (Ed. Gallimard, mars 2024), l’historien Gérard Noiriel nous rappelle que le « problème » de l’immigration s’est imposé avec la gauche radicale dès le début de la IIIe République et qu’il resurgit à chaque fois que la société traverse une crise économique. Aujourd’hui encore, la conquête du pouvoir républicain ne peut se passer d’arguments xénophobes. Pour rallier un grand nombre de citoyens, la « préférence nationale » est devenue la principale préoccupation de la Macronie, de la droite et de l’extrême-droite.
Cette soif de pouvoir politique joue sur des émotions et préjugés véhiculés depuis la fin du XIXe siècle qui confortent, dans l’opinion publique, l’opposition entre le « nous Français » et les « eux étrangers ». Les arguments avancés sont toujours les mêmes depuis 150 ans : « la sécurité nationale est menacée », « les immigrés ne veulent pas s’intégrer » et « les immigrés aggravent le chômage des Français en leur prenant leur travail et en les privant de droits sociaux ». Des années 1880 jusqu’en 1914, une soixantaine de projets de lois ont ainsi cherché à taxer les travailleurs étrangers.
Après la reconstruction du pays dans les années 1920, qui nécessita un recours massif à l’immigration, la crise des années 1930 conduisit le Parti radical à prendre d’inefficaces mesures (loi sur le contingentement de la main d’oeuvre étrangère en 1932, par exemple) pour résoudre le « problème » de l’immigration. Afin de dénoncer cet échec, l’extrême-droite s’empara de l’argument de la « préférence nationale ». La suite, vous la connaissez au travers du slogan « Travail, Famille, Patrie » et de la transformation en camp de concentration des camps d’hébergement et de regroupement des immigrés et des réfugiés.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on fit de nouveau appel aux immigrés pour relancer l’économie. Mais, au début des années 1980, Le Pen re-présenta les étrangers comme responsables de la crise. Depuis 1980, 29 lois sur l’immigration (une tous les 17 mois !) ont été votées. Pourtant, les questions migratoires et l’exploitation des fantasmes sécuritaires continuent de servir les intérêts des macronistes et surtout des extrêmes-droitistes.
Vers la fin de son ouvrage, Noiriel consacre un chapitre sur les manières de combattre efficacement ces dérives nationalistes que je vous laisse le soin de découvrir en le lisant. Pour conclure sa réflexion, l’historien revient sur une phrase de Marx disant que l’histoire se répète sous forme de farce. Il se penche alors avec humour sur la francisation des patronymes pour résoudre le problème de l’assimilation des Français d’origine étrangère. Ainsi, en vertu de la préférence nationale, Zemmour s’appellerait Olive, Ciotti deviendrait Boîteux et Bardella se nommerait Selle !
Texte : MG - 11 mai 2024.